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Dès le début de la Grande guerre, les difficultés d’approvisionnement et les pénuries alimentaires deviennent des questions cruciales en Europe. Les gouvernements et les populations doivent faire face à une situation inédite. Si l’argent est le nerf de la guerre, la subsistance alimentaire devient un enjeu de la victoire.

Dès 1914, l’Europe est plongée dans une crise alimentaire sans précédent. Quasiment toutes les denrées alimentaires sont réservées aux soldats. Les rendements agricoles chutent drastiquement en raison du nombre important de travailleurs agricoles mobilisés et des surfaces de terre devenues champs de bataille. Le Nord et l’Est qui fournissaient avant-guerre 20% du blé, 25% de l’avoine et 50% du sucre, sont désormais sous occupation. Ailleurs, sur le territoire, les cultures sont réduites à cause de la pénurie d’engrais. […]

Ces temps de pénurie rappellent aux citadins l’importance du rôle nourricier du jardin potager. En 1916, le ministère français de l’Agriculture lance un vaste programme pour encourager la création de jardins potagers. C’est la Ligue française du coin de terre et du foyer, gestionnaire des jardins ouvriers français, qui est chargée de distribuer des semences et des outils de jardinage. Le nombre de potagers doublera entre 1912 et 1920.

Les campagnes se vident de leurs travailleurs agricoles, les centres-villes prennent des airs de campagne. Londres, Paris et autres capitales d’Europe se transforment en fermes urbaines. A Paris, les pelouses de Bagatelle, Auteuil ou Longchamp se transforment en pâturages pour les troupeaux. Les parcs, les abords des fortifications sont mis en culture. En 1917, on compte 3 000 jardins cultivés dans Paris et 2 500 dans les 21 communes du département de la Seine. Les paysages des centre-villes de Londres, Bruxelles et Berlin sont méconnaissables.

Au début du conflit, de nombreux pays européens ont abandonné des terres agricoles au profit du développement industriel. La Grande-Bretagne, la Belgique et l’Allemagne s’approvisionnent sur les marchés mondiaux pour nourrir leurs populations. En Allemagne, un quart des denrées alimentaires proviennent des importations. Dès 1915, couper les vivres pour affamer l’ennemi est une priorité, le Royaume-Uni met en place un blocus très strict. Les importations allemandes chutent de 55%, une grave pénurie s’installe en Allemagne et chez ses alliés. Les pays sous occupation allemande, comme la Belgique, sont sévèrement touchés.

En Allemagne, le blocus depuis 1914 et la malnutrition ambiante ont entraîné la mort de 700.000 civils durant la guerre.

« La victoire appartiendra à celui des deux belligérants qui aura, dans ses dernières réserves, un mois de vivres de plus que l’autre »
, peut-on lire dans le journal L’Illustration datant de mars 1917.

Des affiches de propagande en faveur du jardin potager envahissent les rues et les devantures de magasins. Les civils sont invités à produire pour les soldats et à se serrer la ceinture. Femmes et enfants prennent le relais dans les champs.

Les chevaux sont réquisitionnés pour le front, les femmes doivent elles-mêmes tirer les charrues, comme sur cette photo qui a fait le tour du monde, reprise par la propagande américaine. Elle a été réalisée par Edward Penfield et s’adresse aux Américains. Les Etats-Unis, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont les principaux fournisseurs de denrées alimentaires aux Alliés.

Très vite, l’effondrement de la production alimentaire européenne a des répercussions dans le monde entier. La flambée des prix de produits comme le beurre, les œufs et le café oblige les Américains à réduire considérablement leur consommation.

En mars 1917, juste avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, Charles Lathrop Pack, l’une des plus grandes fortunes américaines, fonde la Commission nationale du jardin de guerre. Il est évident pour lui que la seule solution est d’augmenter la production agricole sur le sol américain. Il encourage les Américains à contribuer à l’effort de guerre en plantant, fertilisant, récoltant fruits et légumes pour les alliés. Les citoyens Américains sont invités à utiliser toutes les terres agricoles disponibles, mais aussi tous les terrains vacants, y compris ceux des écoles, des entreprises, des parcs, ou même des arrière-cours.

À travers une campagne d’affiches, de communiqués de presse, avec des slogans tels que « Semez les graines de la victoire », « Chaque jardin de guerre est une plante de la paix », le mouvement des jardins de guerre se propage dans toute l’Amérique. Les clubs de femmes, les associations civiques, les chambres de commerce, les jardiniers amateurs reçoivent des manuels de jardinage ainsi que des suggestions sur les légumes les plus calorifiques à planter. La commission va plus loin et distribue des manuels de mise en conserve et de séchage pour aider ces nouveaux jardiniers à préserver leurs excédents de culture. Les enfants sont également sollicités, le département de l’Education les invite à s’engager comme « soldats de la terre ».

L’élan patriotique est au rendez-vous, trois millions de nouvelles parcelles sont plantées en 1917, plus de 5 millions en 1918 selon la National War Garden Commission (Commission nationale du jardin de guerre). 1,5 million de litres de fruits et de légumes en conserve seront produit grâce à cette formidable mobilisation. La campagne de promotion des jardins potagers, que l’on appelait alors les « jardins de la victoire », s’arrête à la fin de la Première Guerre mondiale. De nombreux jardins sont délaissés, avant de renaître lors du New Deal (1933-1938) comme stratégie de subsistance pour les chômeurs. […]

RFI

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