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Le 5 octobre 1968 avait lieu dans la ville britannique de Londonderry une marche pour les droits civiques des catholiques nord-irlandais. Cette manifestation se termine dans la violence et marque le début de la guerre civile qui a ravagé cette partie nord de l’île. 50 ans après, cet anniversaire rappelle que la situation est certes apaisée mais que les tensions demeurent. « On risque de repartir 30 ans en arrière », alerte Estelle Epinoux, chercheuse à l’université de Limoges.

Les « Troubles » en Irlande du Nord ont fait 3 480 morts. Entre 1968 et les accords dits du Vendredi Saint en 1998, la province britannique va connaître une véritable guerre civile. La marche qui a eu lieu à Derry le 5 octobre il y a 50 ans est considérée comme le début de cette période sombre, marquée par les attentats et les actes de violences entre communautés protestantes et catholiques.

La question du rétablissement des frontières entre Irlande du Nord et sa voisine du sud est un des points les plus épineux des négociations autour de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le Brexit. Le retour des guérites de contrôles pourrait raviver les tensions entre communautés alors que la situation politique est complètement bloquée dans la province.

Entretien avec Estelle Epinoux, chercheur en civilisation irlandaise à l’université de Limoges.

Pourquoi a lieu cette marche des catholiques nord-irlandais en 1968 ?

Depuis l’indépendance de l’Irlande en 1921, il y a une véritable discrimination qui est mise en place à l’encontre de la communauté catholique. Les années 1960 marquent une prise de conscience politique de ce qu’il se passe et une mobilisation en faveur des droits civiques des catholiques se met en place. Certains chercheurs de l’époque comparent ce qu’il se passe en Irlande du Nord à la situation en Afrique du Sud et parlent de « Black Irishs ».

Il y a une discrimination à l’encontre des catholiques tant au niveau du vote, que de l’accès à l’éducation et au logement. Or, le système électoral de l’époque lie logement et droit de vote, alors que plusieurs familles pauvres catholiques vivent sous le même toit et ne peuvent donc pas toutes voter.
Certains protestants vont prendre part à ce mouvement, estimant que ce n’est pas plus possible d’avoir une société avec deux sortes de citoyens. Ils représentent les catholiques au Parlement pour les soutenir et les défendre.

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Malgré l’absence actuelle de gouvernement, la situation reste calme pour le moment, mais combien de temps ?

Il y a un risque clair de retour en arrière. Le Parlement ne fonctionne plus depuis plusieurs mois. Il n’y a plus de rencontres entre les différents protagonistes politiques nord-irlandais. À Londres, Theresa May dirige un gouvernement branlant car elle a besoin du soutien des unionistes protestants du DUP. Elle ne peut pas faire ce qu’elle veut si elle souhaite continuer à bénéficier du soutien des Nord-Irlandais.

La situation entre communautés n’a jamais vraiment été apaisée totalement. En 2010, 80 nouveaux « murs de la paix » pour séparer les quartiers catholiques et protestants ont été construits par exemple. Une partie de la jeunesse désœuvrée s’en remet très vite à la violence et on a toujours un système divisé, les écoles intégrées sont très peu nombreuses. Il reste des quartiers où il existe de la violence. L’IRA est en train de se réorganiser, tout comme les forces loyalistes. On est dans une situation assez critique.

À cela s’ajoute la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne…

Une majorité s’est exprimée en Irlande du Nord au moment du référendum sur le Brexit pour le maintien dans l’Europe. Si une frontière revient avec un « Brexit dur », cela va être terrible car ce sera le retour des guérites. Cela risque de faire revenir la province à la situation d’avant 1998. Ce serait un recul terrible.

L’accord du Vendredi saint prévoit qu’il serait possible pour le peuple nord-irlandais de décider d’organiser un référendum quand bon il lui semblera pour décider si la province rejoint la République d’Irlande, si elle intègre complètement le Royaume-Uni ou si elle décide de sa propre indépendance.

Or depuis 2011, les changements démographiques font qu’il y a presque autant de catholiques que de protestants, même si tous ne sont pas en âge de voter. La situation est en train de basculer.
Les derniers sondages suggèrent qu’il y aurait un mouvement graduel en faveur d’une unité avec la République d’Irlande.

Ouest France

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