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À 39 ans, Youssoupha Mabiki – dit Youssoupha – est une force tranquille. Évacue la pression des débuts. Ses précédents albums, Négritude, disque de platine (2015, 150 000 exemplaires vendus) et surtout Noir Désir, double disque de platine (2012, 200 000 exemplaires vendus), lui ont assuré un succès commercial et une reconnaissance de ses pairs. Mais les choses n’ont pas toujours été aussi simples pour l’enfant de Kinshasa (République démocratique du Congo), arrivé en France à l’âge de 10 ans. Avant le succès, il a, comme beaucoup de rappeurs, galéré en banlieue (Cergy, 95), connu l’expulsion, enchaîné les petits boulots en télé-marketing ou manutention, et squatté les studios. Jusqu’à se faire repérer en 2005, avec la mixtape « Éternel Recommencement ». (…)

Mais de l’eau a coulé sous les ponts depuis cette génération de rappeurs devenus pour certains quinquagénaires. Aujourd’hui, le rap s’est démocratisé, jusqu’à devenir le premier marché musical en France. En 2017, parmi les dix artistes ayant vendu le plus d’albums, cinq étaient des rappeurs francophones (Soprano, Niska, Damso, Orelsan, PNL), selon les chiffres du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep). Paradoxalement, le rap reste encore stigmatisé par certains médias, et considéré comme un art secondaire, voire une « sous-culture » selon Éric Zemmour (2008). Le même qui avait intenté un procès contre Youssoupha en 2009 pour injure et diffamation, qu’il a perdu en appel, en 2012. (…)

Aujourd’hui, le rap reste dénigré malgré l’argent qu’il rapporte. On a gagné le combat culturel, non pas parce qu’on a reconnu notre art, mais parce qu’on l’a arraché. On est devenus rentables par la force des choses. Finalement, on a gagné parce que la majorité des gens le voulait. Mais on reste stigmatisés, on a l’impression de devoir demander la permission en permanence. Même moi, ça m’a pris quinze ans pour en arriver là. Dans le même temps, un artiste de variétés qui demande à se faire connaître aura toujours plus de bienveillance, de subventions, de propositions de festivals.

J’aime dire que les grands médias ont fait de nous des « monstres » de l’industrie. C’est-à-dire qu’à force de nous stigmatiser et de nous mettre des bâtons dans les roues on a muté. On a appris à chanter, à se réaccaparer des codes, à développer les réseaux sociaux, à former nos managers, et à créer des circuits concerts. Résultat, des artistes comme Soprano ou Maître Gims sont devenus meilleurs que des mecs de la variété. Même s’ils sont rappeurs de base, ils ont dû emprunter des chemins bis pour pouvoir rester dans l’industrie.

Après, si on a gagné le combat, il demeure une odeur de stigmatisation, comme lorsque certaines institutions préfèrent le rap blanc, les textes gentillets, etc. Attention, bien sûr que des rappeurs blancs comme Nekfeu ou Orelsan ont énormément de talent, mais ça m’amuse qu’ils soient systématiquement préférés, comme aux Victoires de la musique. (…)

À propos du vivre-ensemble, la victoire de l’équipe de France de football à la Coupe du monde a été un grand moment de communion nationale. Vous qui êtes un grand fan de foot, qu’avez-vous pensé de la polémique sur la couleur des joueurs  ?

Ça m’a beaucoup amusé. Kylian Mbappé, tout le monde l’adore, mais, sans ses deux étoiles sur la poitrine, il peut être considéré comme un délinquant. Pareil pour Fekir : sans la Coupe du monde, il reste un musulman qu’il faut garder à l’œil. Les étrangers, comme le présentateur de télévision américain Trevor Noah, voient bien la stigmatisation. D’habitude, quand on parle des Noirs et des Arabes, c’est qu’il y a des émeutes en banlieue. Du coup, quand on les met en valeur, tout le monde est content. Dire que « l’Afrique a gagné la Coupe du monde » était juste une blague de bonne guerre. (…)

lepoint.fr

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