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L’une est prof de droit, et raconte avec les mots justes son fils antifa, tué en 2013 par des skinheads. L’autre est mère au foyer, et ne les a pas pour décrire son fils, un des principaux accusés.

(…) Clément Méric, “élève modèle”, “mort pour ses idées”. C’est ce qu’on a lu et vu partout. Et c’est aussi ce que vient expliquer Agnès Méric, sa mère, à la barre, avec des mots d’une telle justesse qu’ils ont frappé au cœur et fait sangloter les trois accusés assis sur leur banc. Elle parle de son fils, “tout le monde sait qu’il était un militant d’extrême gauche”, dont elle et son mari “ne partageaient pas toutes les idées, bien sûr”. Elle répète qu'”il n’était pas que cela. Il était aussi un fils, un frère, un cousin, un neveu, un oncle, un ami, un voisin, animé par des convictions fortes et l’idée d’un respect égal pour tous”. Il en est mort, donc. Cela n’est pas dit, c’est implicite.

Agnès Méric parle si bien, si dignement, lorsqu’elle tente de s’adresser aux accusés dans un moment de confrontation poignant :

“Avant de venir, je me suis tant et tant de fois posée la question de ce que j’allais leur dire, je me disais que si l’on est des humains, on doit se sentir concerné par ce qui nous lie, mais là, quand j’entends tout ce qui a été dit […] je me demande si quelque chose d’humain est possible entre nous”.

On se demande ce qu’il en aurait été si c’était l’autre, Esteban Morillo, qui avait été frappé. Aurait-on titré : “Mort pour ses idées” dans les journaux? Aurait-on brandi son portrait géant, en noir et blanc, dans les manifestations ? Sans doute pas. Il y a des idées plus défendables que d’autres.

Etrange destin que celui de ces deux familles unies pour le pire. Deux mondes : à gauche, un étudiant brillant issu de la classe moyenne, des parents professeurs à la fac de droit de Brest. A droite, un apprenti boulanger devenu agent de sécurité, fils d’immigrés espagnols, mère au foyer, père artisan smicard. La “bourgeoisie intello de province” contre le “prolétariat précaire”. Deux camps aussi : ceux qui ont les mots, ceux qui ne les ont pas.

La mère du premier dit cela, par exemple, d’une voix posée et poignante, sans notes :

“Notre vie a été envahie par la mort de Clément, mais on veut se laisser envahir par sa vie maintenant, qui était belle et riche. On a fait le choix de vivre dans son monde à lui, pas dans le monde du ressentiment.”

La mère du second, elle, “ne sait pas trop quoi dire” “à propos d’Esteban” : “il a sûrement fait de mauvaises rencontres”, avance-t-elle d’une petite voix, avant de s’éclipser après quelques minutes. La première, Agnès Méric, est déjà devenue, par la force de son témoignage, une icône de la gauche, comme l’était son fils. La deuxième ? Tout le monde a oublié comment elle s’appelle.

Ils en avaient, pourtant, des points communs : tous les deux étaient “de gentils garçons” pour leurs parents, de “jeunes militants radicaux” fichés pour la police. On les disait tous deux intelligents, sensibles à la cause animale, respectueux de leur copine, travailleurs et prêts à se battre pour leurs idées. A en mourir ? L’un était antifasciste, l’autre fasciste. Le premier est mort, le second doit continuer de vivre.

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