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“Il fait ce qu’on a toujours voulu faire : dire à la gauche et aux médias d’aller se faire foutre.”

Dans la biographie qu’il consacre au Premier ministre israélien, l’éditorialiste de «Haaretz» dresse le portrait d’un animal politique à sang-froid, sans adversaire réel, dont la ligne intransigeante et la façon de se faire le héraut du peuple alors qu’il appartient à l’élite en font un modèle pour les leaders populistes de par le monde.

Et si le monde s’était trompé sur Benyamin Nétanyahou ? Si l’image du populiste impulsif, obnubilé par sa réélection en l’absence de toute vision à long terme, cherchant à faire oublier ses déboires personnels en provoquant des guerres, n’était qu’un mirage, une idée facile, préconçue ? C’est ce qui ressort de la lecture d’une nouvelle biographie remarquée, Bibi. The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu (Basic Books, 2018, non traduit), signée Anshel Pfeffer, l’une des plus fines et hyperactives plumes du pays, tout à la fois éditorialiste vedette dans Haaretz, quotidien de référence de la gauche israélienne, et correspondant lucide pour The Economist.

En retraçant la trajectoire de l’inamovible Premier ministre israélien, à l’heure où «Bibi» vit l’apogée de son long règne tout en étant acculé par les affaires, Pfeffer démontre comment cet extraordinaire animal politique est devenu le totem d’une génération globale de leaders nationalistes, ainsi qu’un personnage d’ores et déjà aussi marquant dans l’histoire d’Israël que le fut David Ben Gourion.

Votre livre sort au moment où Benyamin Nétanyahou traverse une sorte d’état de grâce. Tout ce qu’il a toujours défendu (la reconnaissance de Jérusalem, la défiance envers l’Iran) s’impose au monde, notamment grâce au soutien de Donald Trump.

Il y a vingt-cinq ans, Nétanyahou a écrit en anglais un livre intitulé A Place Among The Nations. Tout y est. C’est d’autant plus remarquable que ce qu’il y avançait était très impopulaire à l’époque, dans l’effervescence des accords d’Oslo qui laissaient entrevoir l’espoir de la paix [ironiquement, le livre a été ensuite retitré Une paix durable, ndlr]. Dans ces pages, l’idée-force est qu’il ne faut faire aucune concession aux Palestiniens. Qu’il n’y a pas d’Etat palestinien possible. Tout au plus, une certaine autonomie, sur de petites zones précises, ce à quoi il est revenu aujourd’hui, quand il parle de «State-minus» et d’«autonomy-plus» (soit un peu moins qu’un Etat et un peu plus d’autonomie).

Il justifie cette intransigeance par la conviction que le monde, y compris le monde arabe, n’aura d’autres choix, sur le long terme, que d’accepter l’existence d’Israël et d’abandonner la cause palestinienne. En gros : si on ne lâche rien et qu’on reste fort, le monde finit par s’y faire. Et que voit-on aujourd’hui ? Les Palestiniens n’ont toujours pas d’Etat. La communauté internationale, hormis une résolution onusienne ou une déclaration européenne ici et là, ne fait plus vraiment pression sur Israël. Quand Nétanyahou vient en Europe, on lui tape un peu sur les doigts mais au final, il rentre en se disant «c’est OK, on a surtout parlé de l’Iran».

Vous écrivez que l’on vit désormais dans le «monde de Nétanyahou», arguant qu’il fut aux avant-postes de la vague populiste que l’on voit émerger un peu partout.

Pour les Trump, Orbán, Salvini, Duterte, Abe ou même Modi et Poutine – toute une génération de leaders qui défient le modèle progressiste occidental fondé sur le respect des droits de l’homme – Nétanyahou fait office de patriarche, de modèle. Ils se disent : «Ce type est en poste depuis si longtemps, gagnant élections après élections, et il fait ce qu’on a toujours voulu faire : dire à la gauche et aux médias d’aller se faire foutre». La conséquence, c’est que dans le club des grands de ce monde, les dirigeants à la Macron ou Merkel sont mis en minorité. Il est plus difficile que jamais de peser sur Nétanyahou. Ce qui marchait encore quand on pouvait s’appuyer sur le président américain, que ce soit Clinton, Obama ou même Bush, ne fonctionne plus. Ce qui ne veut pas dire que Benyamin Nétanyahou a convaincu de la justesse de son projet ou a obtenu gain de cause sur les colonies et le contrôle des Palestiniens. Mais pour le moment, le rapport de force est en sa faveur. Ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ont accepté le fait qu’ils ne pouvaient rien y faire. […]

Libération

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