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En tant que femme mi-ghanéenne, mi-nigériane née aux Etats-Unis, j’ai eu du mal à assister à une nouvelle Coupe du Monde où l’Afrique n’a pas été à la hauteur.

Les matches ont été particulièrement frustrants (…)

A ce rythme, les Africains devront peut-être se contenter de fantasmer sur une victoire en Coupe du Monde du Wakanda.

Mais attendez ! Les fans de la Coupe du Monde disent avec joie que la France est la dernière équipe africaine à avoir participé à la Coupe du Monde. Comme l’écrivait Khaled A. Beydoun pour les Undefeated, “une nation divisée à la recherche d’un optimisme insaisissable place son espoir dans les mains de joueurs nommés Mbappe, Dembele, Fakir, Rami, Umtititi, qui portent le Bleu français mais qui jouent aussi pour l’Afrique, et des légions de supporters africains qui partagent leurs racines continentales”. Sur 23 joueurs, 12 ont des ancêtres africains.

J’avoue avoir des sentiments extrêmement mitigés sur le fait d’appeler la France une équipe africaine. Je partage le sentiment #RootingForEverybodyBlack. Kylian Mbappé est un joueur absolument phénoménal, à seulement 19 ans. Pourtant, selon cette logique, les Noirs n’auraient-ils pas dû encourager des équipes latino-américaines comme le Panama, la Colombie et le Brésil – toutes des équipes qui se vantent d’avoir des joueurs afro-latino ?

Mais croyez-moi, j’ai bien compris. Il y a une certaine joie à savoir que les racistes, les nativistes et les politiciens anti-immigrés en France doivent affronter le fait que les espoirs de la Coupe du Monde des Bleus reposent sur les épaules des Africains noirs. Nous célébrons le succès des Noirs dans les espaces occidentaux d’élite, surtout si ces espaces sont européens. Regardez comment nous avons mis en gage Meghan Markle et le prince Harry incorporant la culture de l’église noire pendant le mariage royal en Grande-Bretagne. Ou prenez Beyoncé et Jay-Z, par exemple : Le mois dernier, le public noir du monde entier s’est réjoui de la sortie de leur opulente vidéo pour “Apes–t”, qui montrait le couple chantant sur leur richesse et leur puissance à l’intérieur du Louvre, flanqué de danseurs noirs ondulant devant des œuvres d’art d’une valeur inestimable.

Les Bleus représentent également certaines vérités sombres sur le fait d’être un immigrant africain en Occident. Souvent, les gens de gauche bien intentionnés soulignent les réalisations extraordinaires des immigrants afin de vanter les vertus de l’immigration et de la tolérance. Mais de tels efforts renforcent l’idée que les immigrants noirs doivent être surhumains pour être jugés dignes d’appartenir à une société à majorité blanche. Nous devons être des super-héros avec les pouvoirs de Spider-Man, capables de sauver les bébés suspendus aux balcons. Nous devons entrer dans toutes les écoles de la Ivy League et obtenir notre juste part de diplômes d’études supérieures. Nous devons être assez talentueux dans le sport pour remporter des championnats et la gloire internationale.

Mais comme pour ceux qui sont tombés amoureux de l’occupation du Louvre par Beyoncé et Jay-Z, les célébrations de l’équipe risquent de manquer un point important – que les fortunes de la France et de l’Afrique noire se sont entremêlées depuis l’époque de la “Francafrique”. “La France est noire depuis des siècles, écrit Gregory Pierrot avec émotion dans Africa Is a Country. “S’il faut faire valoir un point par l’intermédiaire de cette équipe, c’est peut-être que la France ne devrait pas être autorisée à revendiquer la distinction et la séparation d’avec l’Afrique de manière aussi désinvolte,

parce que la France doit tout à l’Afrique. Pas seulement les ressources qu’il continue de piller, pas seulement la main-d’œuvre qu’il exploite sans vergogne, pas seulement l’art qu’il s’approprie comme il l’a fait pendant des siècles : La France doit son âme à l’Afrique.

En effet, l’Afrique a littéralement été la tirelire de l’élite politique française. Quatorze pays africains sur le continent utilisent encore le franc CFA, une monnaie qui était rattachée au franc français (aujourd’hui l’euro) – 12 d’entre eux sont d’anciennes colonies françaises. Les pays qui utilisent le franc CFA sont parmi les plus pauvres du monde ; les critiques du franc CFA disent que c’est un instrument de “répression monétaire”. L’ancien président français Nicolas Sarkozy (qui a dit un jour lors d’un discours à Dakar, au Sénégal, que l’Africain n’était pas encore entièrement entré dans l’histoire) a été inculpé plus tôt cette année, accusé d’avoir accepté illégalement des fonds de campagne du régime du dictateur libyen Moammar Kadhafi – le même Kadhafi qu’il a aidé à renverser lors d’une intervention militaire en 2011 et qui a été tué par la suite. Le président français Emmanuel Macron a pris des mesures rhétoriques pour reconnaître les injustices historiques de la France à l’encontre de l’Afrique. L’année dernière, Macron a été confronté à une vive réaction de la droite après qu’il a reconnu que la France avait commis des crimes contre l’humanité pendant son règne colonial sur l’Algérie. Il s’est engagé à restituer au continent les artefacts africains pris à l’époque coloniale.

Bref, retour au football. Il est aigre-doux au mieux de qualifier l’équipe française d’Africaine, à une époque où la France, obsédée par la daltonisme, s’est contentée de remplacer le mot “race” par “sexe” dans sa constitution, rendant ainsi plus difficile pour les militants antiracistes de lutter contre le racisme et les préjugés systémiques. La brutalité policière à l’encontre des corps noirs en France a fait la une des journaux ces dernières années.

Je souhaite ardemment que la corruption, le sous-développement et la désorganisation n’empêchent plus les équipes du continent de se qualifier pour les phases finales de la Coupe du Monde.

Mais d’ici là, je vais m’asseoir et profiter du reste des matchs de la (#coupedescolonisateurs) Coupe du monde de cette année. Le temps de l’Afrique viendra.

Washington Post

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