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La transformation de la Plaine orientale en zone de culture intensive est contemporaine à l’arrivée des pieds-noirs en Corse. De nombreux ouvriers sans-papiers y travaillent aujourd’hui pour maintenir la compétitivité des exploitations. Les mauvais traitements dont ils font l’objet rendent la situation semblable à celle du sud de l’Italie où certains chercheurs et journalistes n’hésitent pas à parler d’esclavage moderne.

Cela commence souvent ainsi : le passeur se rend chez l’agriculteur, qui lui confie plusieurs contrats à durée déterminée. Puis il part au Maroc et, de village en village, il vend chaque contrat pour plusieurs milliers d’euros. Les heureux élus inscrivent leur nom en haut de la feuille puis gagnent la Corse par bateau, en toute légalité. Au retour, le passeur partage les gains avec l’agriculteur qui, parfois, embauche réellement les travailleurs mais refuse, parfois aussi, de les accueillir. S’ils viennent à protester, la réponse du patron est simple : il a dû se passer d’eux, car ils ne se sont pas présentés.

En 2011, un passeur interpellé avait ainsi empoché 980 000 euros en un an. Mais les gains ne se limitent pas à la répétition de ce tour de passe-passe. L’agriculteur peut aussi se changer en marchand de sommeil. Antoine Albertini vient de consacrer un livre à ceux qu’il nomme Les Invisibles. « Aux abords de la nationale qui va de Bastia à Porto-Vecchio, explique-t-il, il y a plein de mini-Calais. » Les autorités en connaissent l’existence, mais n’interviennent que sur ordre de la préfecture, à l’heure où il faut atteindre les quotas d’interpellations. Et les premiers visés sont les travailleurs.

Comme dans le sud de l’Italie, ce vivier de travailleurs clandestins, qui acceptent de travailler dix heures par jour pour quarante euros, est devenu une façon commode de maintenir une activité dont les pressions opérées par la grande distribution ont détruit la rentabilité. Comme en Calabre toujours, les travailleurs qui sont restés dans l’île une fois leur contrat achevé tombent sous la coupe d’autres travailleurs, installés depuis plus longtemps qu’eux.

Quand le racisme conduit au meurtre
Parmi les exploitants, certains cherchent à assurer aux « invisibles » des conditions plus décentes, de salaire et de logement. Encore le font-ils en cachette pour ne pas s’attirer les foudres de certains voisins qui n’hésitent pas à marquer les maisons occupées par des immigrés du sigle A.F., « Arabi Fora », autrement dit : « Arabes dehors ». Parfois aussi, les gestes se joignent à la parole.

En 2009, la gendarmerie enquête sur le corps de Msarhati El Hassan, un ouvrier marocain de 40 ans, retrouvé au bord d’un chemin, près d’un champ. Dans son portable, est enregistré le numéro d’un journaliste. Il s’agit d’Antoine Albertini qui, deux semaines plus tôt, l’a interviewé pour un documentaire : « Moi, j’ai payé six mille euros pour arriver jusqu’ici », lui a confié cet homme dans une séquence d’une demi-minute. Mais ce dont se souvient aussitôt le reporter, c’est qu’il l’a fait à visage caché : « Parce que si je parle, ils me mettront une balle dans la tête ».

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RFI

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