Fdesouche

L’Écho a rencontré Ruth Wodak, linguiste mondialement réputée pour ses travaux sur les discours extrémistes et xénophobes.

Quand elle sourit, ce qu’elle fait souvent, ses yeux pétillent comme ceux d’une petite fille qui vient de recevoir le plus beau des cadeaux. Ruth Wodak n’est pourtant plus une petite fille. C’est une linguiste mondialement réputée pour ses nombreux travaux sur les discours extrémistes et xénophobes. Des travaux qui l’aident à “objectiver” sa propre histoire, explique-t-elle. Née en 1950 dans une famille juive, elle fait en effet partie de cette génération d’Autrichiens dont les parents étaient parvenus à fuir le régime nazi avant la guerre et qui sont retournés ensuite en Autriche.

L’Echo l’a rencontrée cette semaine alors qu’elle était de passage à Bruxelles, à l’invitation du club bruxellois Full Circle. “Ma mère ne voulait pas retourner en Autriche, elle avait peur, une peur qui ne l’a plus jamais quittée. Mais mon père voulait rentrer au pays pour participer à la construction d’une nouvelle Autriche, d’une société plus démocratique“, nous a-t-elle confié. Entré dans la diplomatie autrichienne après son retour de Londres, son père finira ambassadeur d’Autriche à Moscou dans les années 60. Une belle revanche sur l’Histoire. Ruth Wodak se demande cependant ce qu’il penserait de l’Autriche et du monde d’aujourd’hui. S’il se dirait toujours que son retour avait du sens.

Le FPÖ est de retour aux affaires en Autriche. Son succès est-il uniquement lié à la crise migratoire?
La crise des réfugiés a joué mais le FPÖ était déjà très fort avant cela. Sa rhétorique était déjà très islamophobe pendant les élections de 2010 et 2013. Après avoir été renvoyé dans l’opposition, en 2005, il n’avait cessé de reprendre du poil de la bête. En 2015, alors que la crise des réfugiés secouait la société autrichienne, on a vu que le parti populaire autrichien de Sebastian Kurz, alors ministre des Affaires étrangères, s’est mis à basculer à droite. Puis, il a remporté les élections d’octobre 2017 en reprenant le programme du FPÖ sur les immigrés et les réfugiés et le FPÖ est revenu aux affaires.

On assiste à une montée des idées d’extrême droite dans d’autres pays européens. Peut-on comparer le FPÖ au FN en France, au Ukip au Royaume-Uni, à Aube Dorée en Grèce, etc.?
Il ne faut pas généraliser. Les contextes sont différents, les histoires aussi. Le FN et le FPÖ sont tous deux d’anciens partis qui ont des racines nazies. Le Ukip est plus récent et s’est construit sur deux problématiques uniquement, en s’opposant à l’immigration et à l’Union européenne. Idem pour le Partij voor de Vrijheid aux Pays-Bas qui n’existe qu’à travers la problématique anti-immigration alors que son fondateur Pim Fortuyn avait des positions progressistes sur l’égalité des sexes, par exemple. On ne peut pas comparer ça avec le FPÖ qui est un parti aux valeurs très traditionnelles. Aube dorée, c’est encore différent. Il s’agit d’un parti néonazi qui a des unités paramilitaires et prône la violence. Le FPÖ, Ukip, FN, sont d’extrême droite, certes. Mais, eux, sont restés dans le domaine de la démocratie.

Selon vous, on ne peut donc pas faire de parallèles avec la montée du nazisme dans les années 30?
Il y a des parallèles dans la rhétorique utilisée par certains partis d’extrême droite. Dans le parti allemand Alternative pour la droite, on peut retrouver des mots qui relèvent du jargon nazi. On voit ça aussi en Autriche. Et il y a de l’antisémitisme dans la manière dont le gouvernement hongrois dresse le portrait de George Soros (le milliardaire américain d’origine hongroise, NDLR) comme celui d’un ennemi. Mais on ne peut pas les traiter de nazis. Ils ne soutiennent pas l’idéologie nazie dans sa totalité. Ils ne soutiennent pas le racisme biologique, ils ne veulent pas la guerre et s’inscrivent dans le cadre démocratique.

On assiste cependant à des atteintes aux principes démocratiques dans certains pays, comme la Hongrie ou la Pologne
Il faut observer de plus près ce qui se passe en Hongrie et en Pologne, cela peut être dangereux. Le parti Fidesz de Viktor Orban s’en prend à la liberté de la presse, aux ONG, à la séparation des pouvoirs. Il s’oppose à tout ce que représente l’Union européenne tout en voulant en retirer les bénéfices. En Pologne, on a un gouvernement conservateur ultranationaliste qui veut réécrire l’histoire en affirmant que tous les Polonais étaient des victimes pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, on sait tous qu’il y a eu des collaborateurs et des victimes en Pologne. Ces deux pays suivent un chemin différent de celui de l’Europe occidentale.

Est-ce lié à leur histoire, au fait qu’après la guerre et les atrocités nazies, ils soient tombés dans les griffes de régimes communistes?
Oui. Les pays de l’Est ont souffert de deux régimes totalitaires, fasciste d’abord, communiste ensuite. Ils se sont construit un rôle de victimes. Jusqu’à ce jour, ils n’ont toujours pas fait face à leur histoire très complexe, une histoire qui les différencie des pays d’Europe occidentale où l’on a fait ce travail dès l’immédiat après-guerre.

Comment expliquez-vous que les discours d’extrême droite rencontrent un tel succès alors que l’accès à l’éducation et aux informations n’a jamais été aussi facile?
Il ne faut pas oublier que tout le monde ne mène pas une vie facile. Les inégalités se creusent. Puis, les gens sont fâchés. Ils voient qu’après la crise financière, les banques ont été sauvées alors qu’eux étaient soumis à des politiques d’austérité. Ce groupe de personnes en colère n’est pas homogène. Il y a ceux qui se sentent laissés pour compte, qui estiment subir des injustices et ne pas être entendus. Il y a aussi ceux qui vivent très bien mais ont peur de perdre ce qu’ils ont. Puis, il y a des gens qui ont peur des grands défis mondiaux, qu’il s’agisse de la menace climatique ou des risques financiers, par exemple.
L’extrême droite joue sur ce sentiment d’insécurité que nous ressentons tous. Elle a créé des boucs émissaires: les immigrés et l’élite qui les laisse entrer dans nos pays. Et ce discours continue à cartonner, même dans les pays qui, comme la Pologne, ont refusé de prendre des réfugiés comme le demandait l’Union européenne.

Les médias progressistes, les intellectuels, de nombreux artistes avaient alerté l’opinion publique américaine sur les risques qu’il y avait à élire Donald Trump président. Cela n’a pas marché. Comment faire pour contrer le discours de gens comme Trump?
Je pense que moraliser les gens, les traiter avec condescendance n’aide pas. Or, c’est comme ça que la campagne d’Hillary Clinton a été perçue. Traiter les partisans de Trump de pitoyables, de personnes non éduquées a été une grave erreur. Il faut plutôt proposer des discours positifs qui montrent aux gens que ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de tous les malheurs du monde et que nos économies ne survivraient pas sans ces vagues d’immigration. Il faut aussi parler du changement de manière positive. C’est quelque chose que Barack Obama avait très bien réussi à faire.[…]

L’Écho

Fdesouche sur les réseaux sociaux