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Pour Farhad Khosrokhavar, né à Téhéran, directeur de l’Observatoire de la radicalisation à la Maison des sciences de l’homme, le djihadisme révèle, certes, la crise des sociétés musulmanes mais aussi, sous une autre forme, celle des sociétés européennes.

Le djihadisme européen n’est pas mort avec la mort de Daech en tant qu’État et avec sa mutation en nébuleuse djihadiste, plus ou moins sur le modèle d’Al-Qaeda. Toute une génération s’est laissée bercer par l’illusion de construire un califat musulman en guerre contre un monde impie et ce rêve risque de perdurer une ou deux décennies encore après la disparition de l’État qui l’a promu.

Car Daech n’aurait pas pu instiller ce rêve si les conditions sociales et anthropologiques n’étaient réunies en Europe qui lui donnent sens.

En ce sens, l’attentat de Carcassonne et de Trèbes, le 23 mars 2018, révèle la permanence de la question djihadiste en France et plus généralement en Europe, en dépit de la disparition de l’État islamique en Syrie et en Irak. […]

Le profil dominant de l’individu djihadiste en Europe est le suivant : un jeune âgé entre 18 et 30 ans, d’origine immigrée, ayant été socialisé dans des quartiers pauvres, enclavés, avec des taux de déscolarisation élevés et de délinquance beaucoup plus élevés par rapport aux autres quartiers (en France, les banlieues, en Angleterre les poor districts). […]

L’islamisme radical est donc devenu le lieu de cristallisation de « l’aspiration à en découdre » avec la société chez une partie des jeunes d’origine populaire et immigrée ainsi que ceux d’une partie des classes moyennes, angoissés au sujet de leur avenir. Tout cela se passe dans des sociétés où même les couches moyennes craignent la prolétarisation et le déclassement social et où aucun idéal, aucune utopie ne vient cimenter le vivre-ensemble dans le sens d’une vocation noble projetée dans le futur.

Les idéologies d’extrême gauche battent de l’aile et celles de l’extrême droite violente sont les seules à faire concurrence à l’islamisme radical (telles les attaques d’Anders Breivik, le 22 juillet 2011, près d’Oslo qui ont fait 77 morts et de très nombreux blessés).

La lutte contre la « dystopie » (utopie régressive et répressive prônant la violence au nom d’un paradis à bâtir) de l’islamisme radical ainsi que de l’extrême droite haineuse doit s’inscrire dans un projet de longue haleine. Il s’agirait de faire partager des utopies nobles dans des sociétés moins injustes et moins inégalitaires. […] Les utopies des droits humains, de l’écologie, du féminisme et de la justice sociale pourraient être mises à contribution sous une forme renouvelée afin d’entraîner l’adhésion de ces nouvelles générations.

En définitive, le djihadisme révèle, certes, la crise des sociétés musulmanes mais aussi, sous une autre forme, celle des sociétés européennes où le vivre-ensemble est en quête d’un nouvel horizon d’espérance.

Le Nouvel Obs

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