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Le politologue bulgare, l’un des meilleurs spécialistes du monde postsoviétique, met en garde contre un choc des cultures entre une Europe de l’Est attachée à son identité et une Europe de l’Ouest qui se veut à la fois individualiste et cosmopolite.

LE FIGARO MAGAZINE. – Après l’euphorie des premières années de l’ouverture européenne, on assiste à une percée des mouvements «eurosceptiques» un peu partout en Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie). Ces derniers entendent contrôler strictement leurs frontières au nom de leur souveraineté nationale. Peut-on parler de fracture entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest?

Ivan KRASTEV. – (…) La composition ethnique des pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est est très différente. En Autriche, un enfant sur deux a au moins un parent qui n’est pas autrichien ; 95 % des habitants de la Pologne sont polonais. En outre, n’ayant pas de passé colonial, les pays de l’Est n’éprouvent aucun sentiment de culpabilité vis-à-vis des pays d’Afrique et du Moyen-Orient. La crise migratoire a démontré avec éclat que l’Europe de l’Est envisage les valeurs cosmopolites qui sont au fondement de l’Union européenne comme une menace alors que, pour de nombreux citoyens de l’Ouest, ce sont encore ces valeurs cosmopolites qui constituent le cœur même de la nouvelle identité européenne. En résumé, les vagues migratoires ont provoqué une renationalisation de la politique et une résurrection concomitante de la ligne de partage entre l’Est et l’Ouest.

Cette fracture s’observe à l’intérieur même de l’Allemagne. C’est à l’Est que le parti antimigrants AfD a fait ses meilleurs scores.

-(…) Mis en face de l’afflux de migrants, de nombreux Européens de l’Est considèrent que les espoirs qu’ils avaient placés dans une adhésion à l’Union européenne – espoirs qu’une telle adhésion soit génératrice de prospérité et mette un terme aux difficultés de leur quotidien – ont été trahis. Plus pauvres que les Européens de l’Ouest, ils ne comprennent tout simplement pas qu’on puisse attendre de leur part une solidarité humanitaire spontanée pour les réfugiés. La réaction des Européens de l’Est à la globalisation n’est d’ailleurs pas si différente de celle des Américains blancs membre de la classe ouvrière qui ont voté Trump. Ils se considèrent, de chaque côté de l’Atlantique, comme des perdants oubliés de tous. Le fait que les habitants d’Europe centrale exigent la fermeture des frontières de leurs pays constitue ainsi une réaction à retardement à l’hémorragie démographique qui suivit leur ouverture en 1989.

C’est ce qui explique le succès politique de dirigeants comme Jaroslaw Kaczynski en Pologne ou Viktor Orbán en Hongrie, pourtant jugés autoritaires par certains observateurs…

Le paradoxe de la démocratie libérale, c’est que les citoyens sont plus libres, mais qu’ils se sentent aussi impuissants. Un élément clé de l’attrait exercé par les partis «populistes» est leur exigence d’une réelle victoire. Ils séduisent tous ceux qui considèrent que la séparation des pouvoirs, loin d’être un moyen de rendre les dirigeants comptables de leurs actes et de leurs décisions, est plutôt un alibi permettant aux élites d’éluder leurs promesses électorales. La montée en puissance de ces formations est symptomatique de l’irruption spectaculaire des majorités menacées, devenues une force capitale de la politique européenne. Les membres de ces majorités se plaignent d’avoir perdu le contrôle (réel ou imaginé) de leurs existences et s’insurgent contre ce qu’ils considèrent être une conspiration réunissant des élites à la mentalité cosmopolite et des immigrés aux mentalités tribales. Ils attaquent les idées et institutions libérales, leur reprochant d’affaiblir la volonté de la nation et d’éroder son unité.

 

(…) Le Figaro

Merci à valdorf

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