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[…] Isolement géographique, contournement de la carte scolaire, fin du service militaire… “Les occasions de contacts et d’interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population sont de moins en moins nombreuses, constate Jérôme Fourquet. Cette distance croissante explique que les élites aient de plus en plus de mal à comprendre ‘la France d’en bas’ en même temps qu’elle aboutit à une autonomisation des catégories les plus favorisées, qui se sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la collectivité nationale“. L’ensemble de cette note décapante est consultable ici. Mais en voici notre synthèse.

Ce 21 février, la fondation Jean Jaurès a publié une note écrite par le politologue et géographe de l’Ifop Jérôme Fourquet, intitulée “1985-2017: quand les classes favorisées ont fait sécession.” Treize pages synthétiques, où sont exposés en six points les principaux mécanismes de ce séparatisme à l’œuvre depuis les années 1980.

S’appuyant, entre autres, sur les travaux des géographes Christophe Guilluy et Eric Maurin, Jérôme Fourquet dresse d’abord le constat de la séparation géographique entre France d’en haut et France d’en bas: au fil des décennies, les riches se sont concentrés dans le cœur battant des métropoles économiques, chassant à la périphérie les classes moyennes et populaires, qui n’ont plus les moyens de vivre dans ces endroits où le prix de l’immobilier s’est fait ségrégationniste.

Dans ce chapitre, un graphique retient particulièrement l’attention: où l’on voit que la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures parmi les habitants de la capitale est passée de 25% en 1982 à… 46% en 2013! On comprend mieux comment les Parisiens ont sociologiquement basculé vers une gauche égoïste, c’est-à-dire la gauche Marie-Antoinette d’Anne Hidalgo qu’on pourrait résumer ainsi : “s’ils ne peuvent plus prendre leurs voitures, qu’ils viennent de leur banlieue en vélo!”

Le jour où un socialiste a été élu maire de Paris, j’ai compris que c’était mal barré pour le PS“, nous a un jour confié le géographe Christophe Guilluy. Avant d’expliciter: “Cela voulait dire que ce parti était devenu un parti de riches, et qu’il était en train de perdre irréversiblement le peuple.” Un diagnostic confirmé par un autre chapitre de la note de Jérôme Fourquet, où l’on apprend qu’entre 1985 et 2011, la part des cadres supérieurs au sein des adhérents du PS a crû de 19 points, passant de 19% à 38%, pendant que celle des instituteurs s’écroulait de 10 points (de 17% à 7%), et que celle des ouvriers baissait de 7 points (de 10% à 3%). Le rapport d’autopsie du PS en trois chiffres…

Un deuxième point sur lequel insiste la note de la fondation Jean Jaurès concerne les enfants. Car si la part de l’enseignement privé dans l’enseignement total est restée stable au cours des dernières décennies (environ 20%), ces établissements recrutent de moins en moins sur une base confessionnelle et de plus en plus sur une base sociale. Ainsi, la proportion d’enfants issus de milieux favorisés parmi les élèves scolarisés dans le privé est passée de 26% en 1984 à 36% en 2012. Mais si le séparatisme scolaire est déjà un fait connu et étudié, Jérôme Fourquet s’attarde sur un autre lieu – plus inattendu – où le brassage social des bambins ne se fait plus: les colonies de vacances.

D’abord parce que de moins en moins d’enfants les fréquentent: de 2 millions d’adeptes au début des années 1980, ils n’étaient plus que 800 000 chérubins à être envoyés en colos en 2017! Mais aussi parce “l’univers des colos a parallèlement vu apparaître un phénomène de spécialisation où l’on propose des séjours à thème: équitation, astronomie, plongée, musique…, note Fourquet. Cette tendance a eu pour effet de renchérir le coût des séjours et de segmenter fortement le public concerné.” Pendant que les enfants des classes favorisées vont construire des hélicos miniatures dans des beaux manoirs de campagne, les têtes blondes des milieux populaires continuent de partir avec les colos subventionnées par la mairie ou le département.

Le processus de séparatisme social à l’œuvre dans les catégories les plus favorisées se traduit également par le fait que le sentiment de solidarité, mais aussi de responsabilité à l’égard de la société – qui incombe traditionnellement aux élites selon le principe de l’adage ‘Noblesse oblige’ – s’étiole progressivement“, écrit Jérôme Fourquet. Pour certains, le cadre national n’est plus indispensable, ce qui explique l’envolée des expatriations ces dernières décennies – le nombre de Français immatriculés dans des consulats à l’étranger a été multiplié par 3 ,5 entre 1985 et 2015.

Cette hémorragie se fait plus intense à mesure que l’on grimpe sur l’échelle sociale: alors que le nombre de contribuables assujettis à l’ISF s’expatriant chaque année demeurait inférieur à 400 par an jusqu’au début des années 2000, il s’est progressivement accéléré pour atteindre 700 à 800 individus par an ces dix dernières années. “Le bouclier fiscal instauré en 2006 puis supprimé en 2011 n’a joué qu’à la marge, note Fourquet. On a affaire là à un phénomène profond qui constitue une illustration paroxystique de ce séparatisme social développé depuis une trentaine d’années dans une partie des couches les plus favorisées.” On pense à la célèbre formule de Bernanos sur les élites: “Elles ne se demandent jamais si elles sont encore des élites, c’est-à-dire si elles en remplissent les devoirs.” Passionnante question.

Fondation Jean-Jaurès

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