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Menacé de mort, épuisé psychologiquement, David Thomson, lauréat du prix Albert-Londres, pensait avoir tourné la page de la question djihadiste. Il révèle les raisons de son silence et de son exil aux États-Unis et alerte une nouvelle fois sur le danger que représente le retour des combattants français de Daech.

LE FIGARO. – En juillet 2017, vous êtes lauréat du prix Albert-Londres 2017 du livre pour Les Revenants, enquête majeure sur les djihadistes français qui reviennent de Syrie. Puis vous disparaissez de la circulation… Que s’est-il passé? Avez-vous été menacé?

David THOMSON. – J’ai en effet quitté la France à cause des menaces. Je ne sais pas si l’on peut s’habituer aux menaces de mort. Elles ont commencé début 2013, quand j’étais correspondant en Tunisie pour RFI, à cause du début de l’opération «Serval» au Mali. Ensuite, chaque année, ma situation sécuritaire s’est dégradée. À partir de l’été 2016, les menaces de mort se sont intensifiées, de plus en plus personnalisées et circonstanciées. Un jour, j’étais à la terrasse d’un café, je reçois un appel d’un commandant de police: «Bonjour, vous venez d’être placé sous protection policière. Vous êtes où? O.K., on arrive.» Un an et demi après, je suis toujours placé sous protection policière par le service protection de la police nationale, le SDLP. Nous sommes une quinzaine de civils dans ce cas en France. J’ai fait la connaissance d’officiers de sécurité extraordinaires. L’un d’entre eux m’a dit tout au début: «Nous sommes là pour prendre une balle pour vous.» Cet officier de sécurité était un ami de Franck Brinsolaro, le policier tué pendant le massacre de Charlie. Je leur suis très reconnaissant.

Durant mon travail en France, j’ai rencontré des djihadistes qui sont chauffeurs de taxi, agents de sécurité et même auxiliaires de police au guichet d’un commissariat. Il m’est arrivé d’en recroiser certains par hasard. La pression en France était devenue trop forte. J’ai donc dû quitter mon pays, pour commencer un nouveau cycle journalistique aux États-Unis.

-Depuis la faillite de l’État islamique, quel est leur état d’esprit? Il y a un an, vous écriviez: «Si ces revenants sont parfois déçus de leur expérience en Syrie, ils ne sont pour la plupart nullement repentis.» Est-ce toujours le cas?

Je n’ai pas mené d’entretien depuis la chute de Mossoul ; je me suis arrêté au début de la bataille. Mais en effet, les centaines d’heures d’interviews menées pendant deux ans et demi pour le livre permettent de dresser cette tendance: les revenants reviennent déçus mais, pour la plupart, fidèles au courant djihadiste de l’islam sunnite.
Une des femmes rencontrées en France me disait ainsi être revenue de Syrie après avoir subi enfermement et violences sous l’EI tout en me confiant que l’attentat de Charlie Hebdo avait été «le plus beau jour de sa vie». Il faut noter aussi cette autre tendance tirée des entretiens menés sur la longueur avec sept détenus terroristes incarcérés en France. Dans le huis clos carcéral, les djihadistes ont tendance à s’enraciner dans leur idéologie et dans leurs intentions terroristes, que ce soit dans la prison ou au dehors.

-Vous avez commencé à travailler sur le phénomène djihadiste après les printemps arabes en 2011 et vous avez tiré la sonnette d’alarme dès 2014 sur le risque d’attentats en France. Vous vous êtes alors heurté au déni des «élites» médiatiques et politiques… Ces dernières commettent-elles les mêmes erreurs au sujet des revenants aujourd’hui?

Ceux qui tournaient en dérision mes propos en 2014, quand j’essayais de les alerter sur les intentions terroristes des djihadistes français partis en Syrie, ont encore micro ouvert dans tous les médias audiovisuels. De nombreux experts de la non-expertise monnayent leur label «vu à la télé» auprès de l’autorité publique et certains ont fini par avoir l’oreille du précédent gouvernement. D’où les retards et erreurs d’analyse en France face à la menace terroriste.
Ce phénomène est passé en dessous de tous les radars entre 2012 et 2013, et quand les autorités se sont réveillées, mi-2014, il était trop tard. Aujourd’hui, tout le monde a malheureusement compris le danger. Cette fois, le problème est différent. La démocratie ne lutte pas à armes égales avec le djihadisme. Les djihadistes ont la mémoire longue et opèrent patiemment sur le temps long, surtout quand ils sont en prison. C’est moins le cas de la justice française. On estime que plus de 50 % des détenus terroristes déja condamnés sont censés sortir de prison d’ici à 2020. Sur le court terme, l’intensité de la menace terroriste est donc moins forte en France ; je crains que cela ne soit pas le cas sur le long terme.

-Le nouveau gouvernement a renoncé à la politique de «déradicalisation». Est-ce finalement le signe d’une meilleure compréhension du phénomène djihadiste?

Je le pense, et une vraie inflexion a été donnée en matière de prévention avec l’arrivée de personnalités nouvelles comme Muriel Domenach à la tête du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Dans mon livre, j’explique, sur la base de témoignages de djihadistes, pourquoi la déradicalisation institutionnelle est une chimère. Une des revenantes raconte qu’une des premières choses qu’on lui a demandées dans ces centres était de témoigner sur BFM pour raconter comment elle avait été bien «déradicalisée». Quelques mois plus tard, elle repartait en Syrie. Il n’existe aucune méthode de déradicalisation d’État. Beaucoup ont prétendu le contraire pour des raisons politiques ou mercantiles. D’authentiques escrocs ont été abreuvés de centaines de milliers d’euros de subventions publiques dans l’opacité.

-Le débat sur le sort à réserver aux djihadistes arrêtés en zone irako-syrienne fait rage en France. Trois avocats, Marie Dosé, William Bourdon et Martin Pradel, dénoncent par des plaintes le refus de la France de rapatrier ses ressortissants. Le gouvernement estime que les prisonniers doivent être jugés sur place. Fait-il preuve de cynisme ou de réalisme?

En rejoignant un groupe terroriste, les djihadistes savaient où ils mettaient les pieds. Dès septembre 2014, de Syrie, ils promettaient, je cite, de «mettre la France à genoux» en tuant des civils. Sur zone, tous les djihadistes ont porté les armes. Les avocats font leur travail. Il est à noter que William Bourdon faisait partie de mes contradicteurs les plus virulents en 2014, quand j’essayais d’expliquer que les djihadistes partis en Syrie avaient des intentions terroristes contre la France. Son erreur d’analyse s’explique sans doute par le fait qu’il a parmi ses clients un authentique ex-djihadiste, ancien de Guantanamo, que je connais et qui lutte aujourd’hui contre cette idéologie. Mais ces cas sont très rares dans ce milieu. Par ailleurs, je connais très bien Martin Pradel, puisque c’est mon avocat. Il est très attaché à la défense des libertés fondamentales en France mais aussi en Afrique, au Maghreb et en Turquie. Je comprends sa démarche en tant que juriste, mais, à mes yeux, un détenu terroriste n’est pas un détenu comme un autre. Il est impossible de s’assurer de la sincérité du repentir d’un djihadiste.

N’oublions pas les précédents, comme celui du Belge Oussama Atar, parti rejoindre le premier djihad irakien, condamné en 2005 à dix ans de prison en Irak. Se présentant comme repenti et malade, il avait bénéficié en Europe d’une vaste campagne de soutien conduisant à sa libération anticipée. Il a ensuite regagné le djihad en Syrie pour devenir un des coordinateurs des attentats du 13 novembre. Je pourrais citer des dizaines d’autres exemples comme celui-ci.

 

Le Figaro

Merci à valdorf

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