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L’été était presque sage au pied du béton gris de la cité de la Reynerie, ce 3 juillet au soir. Les « choufs » (guetteurs) tenaient leur poste dans ce quartier toulousain, utopie ratée des années 1960 bâtie autour de barres de logements en forme de tripodes géants. Chacun était prêt, comme toujours, à parer aux mauvais coups. Mais le règlement de comptes qui a eu lieu, vers 21 heures, dans ce grand ensemble situé à moins de quinze minutes en métro du Capitole et devenu en cinquante ans le poumon noir du trafic local de stupéfiants, a surpris même les plus prudents.

A la Reynerie, jusque-là, à défaut d’emploi, il y avait Dieu ou l’argent, la foi ou la drogue, jamais le dévoiement des symboles du premier pour régler les conflits du second. En se présentant ce soir-là au quartier en tenue religieuse, les tueurs ont donc trompé leur monde. Il avait pourtant l’air étrange, ce père en djellaba, accompagné d’une épouse avec sa poussette, mal fagotée dans son niqab. Certains ont bien remarqué les mollets trop charnus de la dame, et ses épaules trop larges sous son voile. Mais le temps de glousser derrière les fenêtres, cet homme déguisé en femme a sorti un fusil d’assaut de la poussette et déclenché une mitraille d’une violence inouïe.

Le duo d’assassins avait une cible : Djamel Tahri, 27 ans, méfiant au possible sous ses airs de grand rigolard, cadet d’une fratrie accusée d’avoir la mainmise sur tout le deal de son bâtiment. Pour l’abattre, ses ennemis n’ont pas hésité à tirer dans le tas : une trentaine de balles au total, dont plusieurs ont atteint des appartements, perforé des véhicules, et blessé six passants, dont deux gravement. Le jeune Tahri, touché à neuf reprises, a rendu son dernier soupir devant la caisse d’allocations familiales.

Les témoins ont d’abord cru à un attentat. Mais très vite, le diagnostic est tombé : règlement de comptes. Le énième d’une série aux statistiques cruelles : plus de dix morts en six ans, seulement sept mises en examen, aucune poursuite pour assassinat, rien d’autre que des chefs d’inculpation pour « association de malfaiteurs » ou « détention d’arme ». Traduction pénale : risque maigre de condamnation, aucun prévenu en détention provisoire, juste des jeunes loups en liberté sous contrôle judiciaire. Autant dire le spectre inquiétant, aux yeux des autorités toulousaines, d’une contagion à la mode marseillaise.

Avec ce drame, les enquêteurs espéraient au moins avoir l’occasion de mettre la main sur des coupables. Sous le coup de l’émotion, les langues des habitants se sont momentanément déliées, ce qui a permis aux policiers d’apprendre que le tireur en niqab et son « époux » n’étaient pas seuls. Le commando, positionné dans le quartier bien avant la tuerie, comptait, selon les témoignages, jusqu’à une dizaine de personnes, connues de « tout le monde » à la Reynerie : au moins quatre hommes à scooter, deux autres pour tuer, un pour donner le « go ». Une mise à mort à ciel ouvert, en somme.

Mais les 10.000 habitants de la cité ont vite replongé dans le silence. Chacun s’est abstenu de la moindre déposition sur procès-verbal. Ceux qui y ont été obligés – pour des questions d’assurance concernant les dégâts humains et matériels – ont pris soin de laisser entendre qu’ils n’avaient rien dit, « parce que, de toute façon, ils ne savaient rien ». Même un vieil Algérien qui avait failli y rester, touché par une balle dans le dos, a préféré s’éclipser au pays. « Douanier » de métier, il était officiellement« en vacances » en France. Quand la mère de Djamel Tahri a dévalé, suffocante, les escaliers après les rafales, « un petit » du quartier ramassait déjà les douilles.

Et puis, la vie a repris à la Reynerie, de part et d’autre de l’artère principale, la rue de Kiev, un axe désert comme un champ de bataille, réinventé en frontière entre les barres décaties baptisées de noms d’illustres compositeurs (Satie, d’Indy, Gluck…). Les habitants pouvaient espérer que les vacances d’été soient porteuses d’une trêve, mais après Djamel Tahri, une autre exécution est survenue dès le 7 août. Des individus encagoulés ont déboulé en voiture et ont tiré sur un groupe de quatre hommes au beau milieu d’un parking, à proximité de la rue de Kiev, avant de se volatiliser dans la nuit toulousaine. Dans leur sillage, un mort : un homme de 29 ans touché par treize balles. Les caméras de vidéosurveillance ne fonctionnaient pas, détruites ou en panne.

La victime ? Le fils aîné des Bouzegou, une famille de Poulenc cette fois, barre voisine d’Auriacombe, fief de la fratrie Tahri ; deux tripodes si proches l’un de l’autre que chacun peut épier ses rivaux derrière ses rideaux. L’enquête confiée au service régional de police judiciaire de Toulouse s’avère complexe, mais une certitude émerge : dans cette affaire-là, plus que dans les règlements de comptes précédents, une « hybridation » entre banditisme et religion a opéré, symptomatique du glissement constaté dans d’autres cités françaises, où l’idée de tromper « l’Etat kouffar » (mécréant) est de plus en plus légitimée.

La victime du parking se prénommait Redouane. C’était l’aîné des trois frères Bouzegou. Il est tombé sous les fenêtres de ses parents. Les balles auraient pu être destinées à son cadet, Yassir, 27 ans, un dur à cuire rescapé de cette même fusillade, condamné à de la prison ferme pour divers vols aggravés et soupçonné d’être mêlé à plusieurs autres tueries récentes à Toulouse. Aux yeux des services de renseignement, Redouane lui-même avait un parcours trouble. En novembre 2015, lors des attentats du Bataclan et du Stade de France, il avait été parmi les premiers du quartier à écoper d’une perquisition administrative.

Dans ce dossier, la frontière entre trafics et islam apparaît d’autant plus floue que le père Bouzegou, un Marocain de 57 ans, est une figure locale. Gestionnaire depuis 2012, d’une gargote, Les Saveurs de Marrakech, au cœur du quartier du Mirail, où il emploie, dit-il, un de ses fils, Yassir, pour 1 100 euros mensuels, Ahmed Bouzegou est surtout, depuis 2014, un haut responsable de la mosquée dite du « Château ». Ce lieu de culte, très éloigné des tentations radicales de son fils assassiné, est affilié de longue date à l’islam consulaire marocain, et doncgéré par le Maroc, qui a pour tradition de surveiller de près ses fidèles.

Les fonctions du père Bouzegou et ses liens avec ce pays où la production de cannabis alimente de puissants réseaux ont-ils pu, d’une manière ou d’une autre, empêcher la police et la justice françaises de s’intéresser à temps à la dérive des deux fils ? Dans un contexte où les autorités françaises se concentraient sur l’antiterrorisme, cette mosquée faisait figure de rempart face à la montée de la radicalisation. Or aujourd’hui, le trafic de drogue explose à Toulouse. Uneforte hausse, à la mesure de la croissance de la population toulousaine (+ 8 000 habitants en 2017), le tout sur fond de poussée de la consommation de cocaïne, et, plus discrètement, de celle d’héroïne.

Qui aurait parié que, dans cette Reynerie au revenu médian annuel de 8.400 euros – 60 % de moins que l’agglomération toulousaine –, il serait en effet possible un jour, grâce à la drogue, de dégager jusqu’à 500.000 euros mensuels par immeuble, au rythme de 300 à 700 clients quotidien ? Qu’aidés par l’implantation du métro et la proximité de la fac du Mirail, des « choufs » viendraient de toute l’agglomération, voire du Gers ou de l’Ariège voisins, « travailler » à la cité à raison de 150 euros la vacation de huit heures ? Un supermarché de la dope en plein air, où des flèches indiquent comment rejoindre les points de deal et où il faut faire la queue dans les cages d’escaliers.

Après la mort de Djamel Tahri et de Redouane Bouzegou, le trafic ne s’est en rien assagi. Policiers et magistrats ont été estomaqués de la stratégie marketing de certains chefs de réseau : paquets de feuilles à rouler couleur noir et or offerts pour chaque dose achetée, herbe livrée dans des sachets « griffés », cartes de fidélité, etc. Au bâtiment Varèse, il a même été assuré, en novembre, quelques heures durant, une géolocalisation sur Google Maps. En tapant « plan weed », n’importe quel Toulousain en quête d’herbe pouvait tomber sur leur adresse, photo à l’appui.

Autant de preuves d’une puissante mainmise en coulisse. A la Reynerie, tant que la justice ne tranche pas, les victimes des règlements de comptes sont perçues comme des « hommes d’honneur » – des garçons « respectés », dit-on ici –, protégés des soupçons du deal par la prière et la valeur sacrée de la présomption d’innocence. Pas d’église, comme en Sicile, pour absoudre, mais l’islam mêlé indifféremment à la dope et à la violence dans un parfum de Cosa Nostra. « Si je n’avais pas la religion, je ne pourrais pas rester », souffle, effondré, le père de Redouane Bouzegou.

Pour défendre la mémoire de celui qu’il appelle son « fils préféré », cet homme mince au visage sec a accepté de recevoir Le Monde entouré des siens dans le T5 du défunt. Les fenêtres donnent sur une vaste pelouse censée accueillir un jour une deuxième mosquée dans la cité voisine de Bagatelle. Redouane Bouzegou comptait s’installer dans cet appartement refait à neuf avec son épouse de 27 ans et leurs trois enfants âgés de 6 mois à 8 ans. « C’était un lion, on a tué un lion », regrette son père en contemplant ce qu’il considère comme la meilleure preuve de la probité de son fils : ses médailles de ju-jitsu, un sport dont il était un pratiquant confirmé.

Les services de renseignement avaient l’œil sur ce club d’arts martiaux soupçonné d’être un foyer de radicalisation. Mais pour la famille, les balles ayant tué leur fils étaient destinées à d’autres. A commencer, peut-être, par Yassir, ce frère défendu du bout des lèvres. Ou alors à un certain Abdelkrim Koulel, 26 ans, alias « Trompe-la-mort », maintes fois visé, souvent blessé, toujours vivant. Présent la fameuse nuit du 7 août sur la rue de Kiev, ce dernier a bien eu droit à son lot de balles, mais il en a réchappé et s’en est même vanté, à grand renfort de doigts d’honneur, sur Snapchat, depuis son lit d’hôpital.

Au jeu du casier judiciaire, Redouane Bouzegou avait le privilège de la page blanche. Après avoir lâché le lycée Airbus avant le bac, il s’était engagé, entre 2008 et 2011, au 1er régiment du train des parachutistes de l’armée de terre. Ensuite, il avait été vigile dans le métro, puis, de 2013 à 2015, médiateur pour une association municipale, dissoute pour cause d’accointances avec des jeunes mêlés au trafic. Un simple « licenciement économique », d’après ses proches. Depuis, il cherchait un travail. La sécurité le tentait. Il devait démarrer une formation et s’était même inscrit en fac de droit. Bref, un homme « respecté et respectable ».

C’est ainsi, à la Reynerie : le trafic de drogue n’est jamais évoqué frontalement. Il faut l’entrevoir dans les non-dits, le saisir derrière les larmes étouffées des femmes sur leur grand canapé à l’orientale. Soraya (pseudonyme), 43 ans et six enfants, habitante de la cité depuis trois décennies, le confie avec ses mots dans les locaux de l’association Parle avec elle, qui offre café et écoute aux mères et épouses dans un appartement des barres. « Ça deale, ça deale, mais on ne nous ennuie pas », clame cette jolie brune en bottines noires, alors qu’une de ses filles a failli prendre une balle le 3 juillet.

Pendant que Soraya accepte de témoigner dans une pièce à l’abri des regards, une voisine en peignoir sanglote au bord de l’évier dans la cuisine à côté. « Le juge »vient de la menacer de « la mettre en prison si elle continue à couvrir ses fils ». De la même manière, quand une cellule psychologique a été mise en place par la mairie après la fusillade du 3 juillet, Soraya a refusé, comme beaucoup, d’y mettre les pieds. « On a préféré s’aider entre nous », lâche-t-elle, pudiquement. Son mari aimerait partir, mais paradoxalement, elle se sent plus « protégée » ici qu’ailleurs.

Djamel Tahri, exécuté par le faux couple en niqab et djellaba, était à ce titre un des nombreux garçons protecteurs et « généreux » du quartier. Toujours « aidant »pour ses voisins. Un vrai « papa », selon sa sœur, Samira, 31 ans, qui a accepté, elle aussi, au côté de sa mère, de recevoir Le Monde. Depuis la tuerie, le perroquet fantasque de son frère piaille toujours à intervalles réguliers dans l’entrée de l’appartement. L’appareil de musculation sur lequel Djamel pouvait s’entraîner tout en gardant l’œil sur le terre-plein devant l’immeuble trône encore dans sa chambre. Mais dans ce duplex typique de la Reynerie, mère et fille se terrent désormais, rideaux tirés, dans l’attente d’un relogement.

Assise bien droite sur une chaise au milieu du salon, madone meurtrie habillée ce jour-là d’un large hijab blanc à fleurs noires qui la recouvre jusqu’à la taille et dont ne sortent que ces mains nerveuses, Samira défend la mémoire de son frère : « Djamel a bien fait quelques sous au départ, comme tout le monde, mais depuis trois ans, il s’était rangé. Donc soit il était malin et la police ne faisait pas son travail, soit il ne faisait rien et la police faisait très bien son boulot. » A l’instar de Redouane Bouzegou, rien dans le CV de son aîné ne permettait, il est vrai, de le rattacher à du trafic de stupéfiants. Au pire s’y trouvaient des délits routiers, de la détention d’armes et des faits de violence.

Malgré son job de serveur dans une pizzeria, Djamel Tahri « tendait la main à tous les nécessiteux, aux mères qui n’arrivaient pas à faire les courses ou à payer leur loyer. Tous l’appelaient quand il y avait un manque de respect », a tenu à compléter sa sœur dans un texto envoyé après l’entretien. Dans cette fratrie de huit où a toujours manqué un père, Djamel avait à sa manière, selon elle, endossé le rôle de patriarche : « Toutes les décisions passaient par lui », a insisté la jeune femme, dépeignant sa propre vie comme celle d’une célibataire pieuse, indifférente à l’agitation extérieure, concentrée sur l’entretien du logis et, désormais, sur l’éducation de son neveu, orphelin de père à 4 ans.

Récemment, un « chouf » a traversé la cour du collège en pleine récréation pour récupérer une livraison de drogue déposée sur le toit
Depuis quelques années, Djamel avait même été rattrapé, d’après elle, par la « vague du repentir ». Un discret engouement dans le quartier pour la « voie droite » de l’islam, survenu après le choc, en 2011, du premier mort de la Reynerie dans un règlement de comptes. Il s’appelait Samir Chorfi, il avait 23 ans. Neuf balles de Glock lui avaient traversé le corps dans une affaire où commençait déjà à poindre la difficulté à mettre des mots sur la réalité du business. « Simple différend de mariage », avaient défendu mordicus ses proches. Dette de 10 000 euros sur fond de trafic de drogue, avait rétorqué l’accusation.

Que faire, dans ces conditions, pour lutter contre cette hécatombe ? « Moi, j’optimise les moyens mis à ma disposition », balaye le directeur départemental de la sécurité publique, Jean-Michel Lopez. Dans son bilan, les trafiquants, grâce au travail policier, n’ont pas la vie si simple : « Ils sont obligés d’avoir des parades, des “choufs”, des “pré-choufs”, des appartements relais, des cadenas aux portes, des faux points de deal… » La ville, elle, a fait exploser son compteur de policiers municipaux – de 150 à 300 d’ici à 2020. Elle a pris en charge la gestion de la fourrière et récupéré le visionnage des caméras de vidéosurveillance. Mais le souci demeure : ses agents n’ont aucun pouvoir d’enquête,donc aucune compétence judiciaire pour démanteler les réseaux.

Il n’y a qu’au parquet de Toulouse qu’on met vraiment les pieds dans le plat, en prenant pour base le taux de délinquance sur la voie publique : « C’est simple, il est de 84 pour mille habitants à Marseille et de 104 à Toulouse, mais nous sommes moitié moins, pour autant de déferrements… Soit 22 magistrats contre 41 », pointe le procureur de la République, Pierre-Yves Couilleau. A l’heure où l’exécutif doit annoncer sa réforme de la « police de sécurité du quotidien » et de la procédure pénale, beaucoup espèrent donc, dans cette ville symbole où Nicolas Sarkozy avait mis fin, en 2003, à la « police de proximité », qu’il ne s’agira pas juste d’habillages. « Il faut surtout renforcer la coordination et la disponibilité des forces de l’ordre », souligne-t-on à la préfecture de Haute-Garonne.

Pendant que la cité de la Reynerie se tait, les bailleurs décrivent l’enfer des couloirs qu’il faudrait, dans l’absolu, repeindre tous les jours, le personnel d’entretien qui s’est aménagé des abris pour éviter d’être pris entre deux feux lors des descentes de police. Le principal du collège de la Reynerie, lui, se désespère du point de deal situé juste du côté de l’entrée des professeurs, ou de ces gamins débarquant les yeux cernés après les interpellations matinales. Récemment, un « chouf » a même traversé la cour en pleine récréation pour récupérer une livraison de drogue déposée sur le toit. Le département s’est résolu à fermer l’établissement d’ici deux ans. Même les deux mosquées de la cité sont voisines de points deal, et il est courant de voir lieutenants et « nourrices » descendre des coursives des bâtiments pour aller prier.

Dans ce Far West, les provocations fusent au-delà de la mort. Après le décès de Redouane Bouzegou, certains de ses assassins présumés ont filé au Maroc. De là-bas, ils se sont filmés sur les réseaux sociaux dans des villas avec piscine à 1 000 euros la semaine. Son père raconte qu’il était possible, en étant connecté aux bonnes personnes, de les voir rigoler en hurlant : « Honneur, on a eu “Cheveux” ! » Un surnom dont la victime avait écopé après avoir longtemps porté une longue tignasse et une barbe, façon salafiste. « C’était la mode de la coupe à l’italienne », préfère dire l’une de ses sœurs.

Ce sentiment d’impunité est perceptible jusque dans les salles d’audience du palais de justice de Toulouse. Mi-décembre, le tribunal correctionnel a tenté d’y juger une dizaine de personnes de la Reynerie impliquées dans un dossier de stupéfiants. Mais il n’a jamais pu obtenir d’autres réponses à ses questions que des « peut-être », des « je suppose » et des « j’avais prêté mon téléphone ». Le « boss » présumé du réseau – dit « Le botch », en occitan – comparaissait libre après un vice de procédure. Sur le même banc se tenait une ravissante professeure stagiaire d’un lycée professionnel, surprise avec 21 000 euros à son domicile.

La ville de Toulouse rêve toujours de conjurer le sort avec davantage de mixité et la construction, d’ici à 2021, d’une base nautique sur les rives du lac voisin.

Faire justice soi-même, quitte à avoir recours à une forme de mise en scène, c’est donc ce qu’a choisi le père de Redouane Bouzegou après son décès. Le 12 août, au milieu de la grande place Abbal, vaste esplanade sous les balcons des tripodes, soutenu par un petit public, il a brandi un code pénal tout en jurant qu’il donnerait à la police les noms des meurtriers. « En cinq jours, je les avais », assure-t-il aujourd’hui, égrenant les patronymes de ceux qu’il suspecte, des « guetteurs » aux commanditaires. […] Funérailles dignes des « parrains »

Le prosélytisme religieux de Redouane Bouzegou agaçait aussi, notamment ses maraudes caritatives auprès des SDF de la gare. Un paravent qui lui aurait permis, selon ses détracteurs, de recruter « ses » petites mains. Et ce, alors que le recours à des sans-papiers aux postes de « choufs », dont des mineurs étrangers isolés, était en progression. D’après la justice, aucune enquête n’était toutefois ouverte contre le jeune homme, et rien ne permet non plus d’étayer des soupçons de blanchiment via des associations cultuelles.

Les utopies urbaines demeurent, malgré tout, dans le quartier. Les divers « conseils citoyens », réunions police-population ou « ateliers empowerment » (capacité à agir de manière autonome) n’ont jamais fonctionné à la hauteur des espérances, mais la ville de Toulouse rêve toujours de conjurer le sort avec davantage de mixité et la construction, d’ici à 2021, d’une base nautique sur les rives du lac voisin. En parallèle, un troisième plan de rénovation urbaine est à l’œuvre, grâce aux pelleteuses qui n’ont de toute façon jamais quitté le secteur en quinze ans de démolition-relogement.

C’est finalement dans l’enterrement de leurs enfants perdus que les familles ont surtout cherché à préserver leur mémoire. Avec des funérailles dignes des « parrains » qu’elles ont toujours refusé qu’ils soient. Pour Redouane Bouzegou, au Maroc, un millier de personnes se sont réunies, dont tout ce que la ville d’Oujda compte d’autorités respectées, la presse et la chaîne de télévision nationale. Une cinquantaine de ses amis avaient fait le déplacement : à leur frais ou à bord d’un bus loué pour l’occasion. Plusieurs sont même venus du Brésil, un pays où, comme le Maroc, à en croire ses proches, le fils Bouzegou se rendait régulièrement pour « s’entraîner » et participer à des compétitions de ju-jitsu.

Pour Djamel Tahri, l’histoire s’est achevée dans le carré musulman du cimetière de Cornebarrieu, en périphérie de Toulouse. Il y avait là les proches, l’imam, tout un cortège, sauf les femmes, tradition oblige. La justice avait accordé une permission à un de ses frères incarcérés, Mohamed, 33 ans. Mais pas au second, de peur déjà, qu’il ne prenne une rafale. Intuition sage : après quelques pelletés de terre, les tombes ont une nouvelle fois tressailli. « Femmes, parents, enfants, on va les exécuter un par un. Passez le message », a éructé l’aîné des fils Tahri à l’adresse des assassins présumés. Avant de partir, le petit garçon de Djamel Tahri a confié à la stèle trois de ses voitures miniatures en plastique. Puis chacun s’en est allé, laissant la vindicte faire son chemin, sous le regard coi des agents du renseignement territorial.

Le Monde

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