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CHRONIQUE – Un recueil des grands textes de la droite fort bienvenu au moment où le clivage avec la gauche ne semble plus opérant.

Ni droite ni gauche. Ce fut le thème porteur de la présidentielle. Ni droite ni gauche, français, disait Marine Le Pen. Et de droite et en même temps de gauche, disait Emmanuel Macron. Plus de gauche, ajoutait Jean-Luc Mélenchon, à qui personne ne faisait l’injure de le croire de droite. Leurs rivaux, qui avaient eu la coupable ingénuité de faire cuire leur soupe électorale dans les vieux pots partisans, furent vaincus (Fillon) ou laminés (Hamon). Aux législatives, ce fut encore pire pour les partis, incarnations moribondes du rituel affrontement. Alors, exit la gauche et exit la droite? Pas si simple.

En relisant les grands (et moins grands) textes de la droite, rassemblés par Grégoire Franconie, on constate avec notre historien que la contestation du clivage droite-gauche est aussi vieille que le clivage lui-même. Jadis, on apprenait que le philosophe Alain, radical bon teint et taquin, reconnaissait un homme de droite à ce qu’il se disait ni de droite ni de gauche. Plus tard, le président Mitterrand, tout aussi taquin, affirmait que tout centriste était «ni de gauche ni de gauche». C’est sans doute ce que les électeurs de droite se disent lorsqu’ils votent pour les candidats d’En marche!.

Il est vrai que François Mitterrand était l’exemple même de ces trajectoires politiques qui passent de droite à gauche (ou l’inverse) sans que l’on sache exactement ce qui tient de l’opportunisme ou des convictions. Alors, fin de partie pour la droite et la gauche? Si on résume ces deux camps séculaires au Parti socialiste et aux Républicains, la réponse est positive. Mais – et c’est le grand attrait de la lecture de ces textes – la droite et la gauche sont éternelles, increvables, aussitôt ressuscitées que mortes, car elles correspondent à des tempéraments inhérents à la nature humaine, et même à l’intérieur de chacun d’entre nous: optimisme et pessimisme, idéalisme et réalisme, l’arbre et la main, comme dit notre historien avec finesse, à savoir l’arbre de l’enracinement et de l’héritage contre la main de l’ouverture à l’autre et de la solidarité.

Notre recueil reprend l’origine traditionnelle du clivage droite avec le fameux débat à l’Assemblée constituante du 28 août 1789 sur le veto du roi. Mais on aurait pu remonter aussi aux guerres de religion ou à la querelle des Anciens et des Modernes à la fin du règne de louis XIV. Au fil des premiers textes fondateurs, de Napoléon, de Benjamin Constant ou de Guizot, on voit défiler les différentes familles de droite selon la non moins traditionnelle typologie de René Rémond: légitimistes, bonapartistes, orléanistes. René Rémond n’a pas réponse à tout: on peut considérer que stricto sensu le bonapartisme et l’orléanisme sont des centres, anciennes gauches passées à droite par le sinistrisme très français. On voit d’ailleurs aujourd’hui que les démocrates-chrétiens et les libéraux, qui avaient basculé à droite sous l’effet de la mouvance communiste, reprennent peu à peu leur place à gauche, aux côtés de socialistes dégrisés des vapeurs du marxisme.

La lecture de ces textes nous permet de voir qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ce que tout homme de droite sait d’instinct. Toutes les opinions, toutes les combinaisons ont déjà été tentées. Le gaullisme s’est appelé bonapartisme. Le cercle de la raison d’Alain Minc s’est appelé suffrage censitaire chez Guizot. Le libéralisme anti-autoritaire et droit-de-l’hommiste prend sa source chez Benjamin Constant. L’alliance de la droite nationaliste et de la gauche antilibérale, dont rêvent Marine Le Pen et Florian Philippot, a déjà échoué avec Georges Valois, qui avait lui aussi tenté de rassembler maurrassiens et syndicalistes dans son «fascisme antiploutocratique». Le patriotisme est passé de gauche à droite à la fin du XIXe siècle comme le pacifisme à la fin des années 1930.

L’Église est passée à gauche après Vatican II mais de nombreux chrétiens repassent à droite depuis La Manif pour tous. De Gaulle est un barrésien, trop royaliste pour la gauche et trop autoritaire pour les royalistes. Il n’y a pas de règle, que des circonstances.

L’Histoire balaie les positionnements et les destins. La gauche devient antisémite par pacifisme (Déat, Doriot, Céline) avant la guerre, ce qui n’empêche nullement la gauche, après la guerre, de cataloguer l’antisémitisme à droite. L’anticapitalisme est associé à la gauche alors que la droite, d’Albert de Mun à Bonald, jusqu’aux résistants Frenay et d’Estienne d’Orves, ont farouchement combattu les forces de l’argent. La gauche combat le conservatisme, mais ce conservatisme n’a plus de soutiens depuis que la droite gaulliste, en la personne emblématique de Chaban-Delmas, dans son fameux discours sur la nouvelle société, a mis le conservatisme au ban de la droite.

Et cette folle histoire nous ramène à Emmanuel Macron. Les forces qui le soutiennent sont de droite et de gauche. Une gauche libérale et une droite libérale. Une gauche progressiste et une droite qui rejette le conservatisme. Un bloc bourgeois qui revient aux sources louis-philippardes de Guizot et qui entend engager la politique de la raison.

Il faut moderniser la phrase de Mitterrand, la macroniser: un centriste n’est «ni de droite ni de droite». Macron, c’est la nouvelle naissance de la gauche. Mais, en face, il n’y a plus de droite. Jacques Attali, soutien de Macron de la première heure, oppose les progressistes et les conservateurs. Et personne ne veut être conservateur. Le progressiste est l’homme qui s’arrache à ses racines, quitte à être caricaturé comme hors-sol ; et refuse un destin de «radis», nous assène l’ancien conseiller de Mitterrand. Au-delà du mépris de classe que révèle cette comparaison, l’opposition n’est pas fausse: le clivage droite-gauche s’est une fois encore métamorphosé en un combat entre conservateurs et progressistes, entre «c’était mieux avant» et «ce sera mieux demain», entre partisans de l’identité judéo-chrétienne et gréco-romaine de la France éternelle et partisans du vivre-ensemble et du «pas d’amalgame». Les hommes hors sol ont la main et tous les pouvoirs: politique, médiatique, économique. Nous sommes tous des radis français.

Le Figaro

Merci à valdorf

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