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Le 7 mars, le lycée Suger (Seine-Saint-Denis) et ses alentours ont été le théâtre de violences et de saccages.

L’anthropologue Marc Hatzfeld décrypte les racines de la violence au sein d’un quartier qu’il refuse de qualifier de “zone de non-droit”. Et explique comment les affaires de conflits d’intérêts et les paroles non-tenues des politiques attisent une rage qui prend la forme d’inacceptables violences.

Le quartier du Franc-Moisin [Saint-Denis, 93] est enfermé entre une autoroute, un canal, une voie rapide et le Stade de France. Bouclé comme tant d’autres quartiers, coincé. C’est pourtant un quartier d’habitat vertical, bien dessiné et correctement réhabilité. Il est cependant violent, mais pas tant par les personnes qui l’habitent que par les conditions de la vie qui s’y déploient. L’enfermement y est violent, la grande pauvreté y est violente, la surveillance d’une part de la population entre la police et un discours religieux omniprésent est violente, les conflits de bandes reposant sur des patriotismes de quartier, la stigmatisation par l’adresse, tout y est violent. […]

Le Franc-Moisin n’est pas une zone de non-droit comme le disent certains commentateurs par paresse de langage, mais il s’y est inventé et installé, vaille que vaille, comme dans bien d’autres zones sociales, économiques ou géographiques de notre République une règle coutumière que les autorités politiques et policières ont négocié avec la population et les circonstances. […]

Encore une fois, c’est la vie sociale qui, prenant le dessus, a fini par permettre aux habitants des quartiers populaires de survivre entre joie et désespoir dans la part que le pays leur avait réservée. Des familles et des groupes issus de dizaines de régions du monde aussi différentes que l’Algérie, le Cambodge, le Mali ou la Colombie y apprennent les uns des autres tout en dessinant les codes d’une mondialisation langagière et culturelle qui est le ferment du monde de demain.

Les jeunes y font jaillir des dérivations souples et délirantes du Français normatif, y dansent selon les rythmes venus de la grande Amérique, y rêvent surtout d’une France ouverte à laquelle ils seraient si fiers d’appartenir, si fiers bien que parfois embarrassés. Certaines femmes profitent d’interstices oubliés de la vie associative pour se rencontrer et résister à leur façon. C’est dans ce contexte tendu entre vitalité et violence qu’apparaît ce rite étrange qu’est une élection présidentielle à la française. […]

Le Monde

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