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Tribune d’un journaliste de Libération

Pour qui lit la presse anglo-saxonne, impossible d’y échapper. Depuis que le diable est sorti de sa boîte, l’«Alt-Right» – cette nouvelle droite américaine qui se veut «alternative» mais s’affirme avant tout extrême – est partout. Même si son cœur militant ne dépasserait pas la dizaine de milliers de membres, ses têtes de gondole, après des années à s’exprimer dans une nébuleuse de sites, forums de discussions et de conférences confidentielles dans des hôtels bon marché, ont désormais droit à des portraits sur papier glacé dans la presse grand public. Voire à de juteux contrats d’édition.

Fin décembre, le Britannique Milo Yiannopoulos, 33 ans, impresario autoproclamé du mouvement, a reçu une avance de 250 000 dollars (236 000 euros) pour son prochain livre, malgré l’indignation du monde de l’édition et les appels au boycott. Cette «plume» du site conservateur Breitbart – dont le président, Steve Bannon, est devenu le principal conseiller de Donald Trump après s’être vanté d’en avoir fait «la plateforme de l’Alt-Right» – s’était notamment distinguée par son exclusion à vie de Twitter, après avoir mené une campagne de harcèlement en ligne visant une comédienne noire.

A l’inverse, l’inventeur du terme «Alt-Right», Richard B. Spencer, ethno-nationaliste de 38 ans en veste de tweed et diplômé de Duke, le Harvard du Sud, a récupéré l’usage de son compte sur le réseau social, agrémenté d’un macaron «vérifié» qui plus est, après une éphémère suspension. Et ce malgré les images virales de son «Heil Trump !» lancé «dans un esprit ironique et exubérant (sic)» à 200 partisans réunis dans un hôtel à quelques blocs de la Maison Blanche, deux semaines après l’élection du milliardaire.

Force est de constater que le mouvement dont Richard B. Spencer s’est fait le champion a su unifier en un agglomérat élastique la plupart des groupuscules extrémistes, des «paléoconservateurs» aux néoréactionnaires, des vétérans du suprémacisme blanc, à l’instar de l’idéologue d’extrême droite Jared Taylor et son site American Renaissance, aux trolls masculinistes de Reddit, 4chan et du Gamergate.

Tous fédérés autour d’un même fantasme, proche de la théorie du complot : soit la conviction que «l’identité» blanche et masculine est menacée par les forces cumulées du multiculturalisme, du féminisme, du politiquement correct et de la justice sociale, comme l’a résumé le Southern Poverty Law Center (SPLC), principale association américaine de surveillance des mouvements extrémistes.

L’Alt-Right est moins une idéologie nouvelle que l’empilement de divers courants radicaux et artefacts générationnels et transnationaux, mis en relation par la fluidité qu’offre Internet et la mondialisation de la pop culture. Ainsi, des obscurs écrits identitaires de la Nouvelle Droite française au best-seller nihiliste Fight Club, apparaissent les bases idéologiques (et non exclusives) d’un nouvel internationalisme d’extrême droite.

Dans la Fachosphère (Flammarion, 2016), les journalistes David Doucet et Dominique Albertini établissent que cette doctrine se fonde sur «l’idée selon laquelle les cultures doivent préserver leur substance ethnique et culturelle, vue comme une valeur en soi».

De la même manière, Richard B. Spencer et Jared Taylor ne se voient pas comme des suprémacistes, mais des identitaires, des «Européens-Américains» menacés par les changements démographiques et le métissage, ce qu’ils appellent «le génocide blanc», synonyme du «grand remplacement» brandi par l’essayiste hexagonal Renaud Camus, que Jared Taylor cite régulièrement. Ils rejettent en bloc universalisme et égalitarisme, et s’ils croient en une hiérarchie des races, ils euphémisent en parlant de «réalisme racial» ou «d’ethno-nationalisme». Ils rejettent l’usage de la force et misent sur un gramscisme de droite pour faire avancer leur cause, avec l’aide des nouvelles technologies.

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L’Alt-Right n’est cependant pas qu’une Nouvelle Droite 2.0 et yankee. S’y ajoute un penchant pour l’ironie, le virilisme et la victimisation très contemporaine, contenue à l’état embryonnaire dans la satire visionnaire du Fight Club de Chuck Palahniuk, publié en 1996 et adapté trois ans plus tard au cinéma par David Fincher. Schématiquement, l’œuvre, culte dès sa sortie, dépeint un groupe d’hommes aliénés et comme engourdis par la société de consommation qui retrouvent leur virilité et leur libre arbitre en se battant à mains nues au sein d’un club secret, sous l’emprise d’un gourou antisystème charismatique du nom de Tyler Durden (joué par Brad Pitt). Comme l’a noté le journaliste Sam Jordison dans le Guardian, on retrouve même dans le livre la première occurrence de l’anathème «precious snowflake» («précieux flocon de neige»), aujourd’hui largement utilisé sur les réseaux sociaux par les trolls à l’encontre des «gauchistes fragiles» dans le viseur de l’Alt-Right.

Sur Radix, un manifeste intitulé «Generation Alt-Right» reprend texto le célèbre monologue de Tyler Durden sur les «enfants oubliés de l’histoire» : «On n’a pas de Grande Guerre, pas de Grande Dépression. Notre grande guerre est spirituelle, notre grande dépression, c’est nos vies. La télévision nous a appris à croire qu’un jour on serait tous des millionnaires, des dieux du cinéma ou des rockstars, mais c’est faux, et nous apprenons lentement cette vérité. Et on en a vraiment, vraiment plein le cul.»

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Si l’œuvre de Chuck Palahniuk ne comporte pas de message suprémaciste, la jeune garde de l’Alt-Right adhère bien plus à sa contre-culture masculiniste et survivaliste et à son goût pour la transgression des tabous liés au nazisme (le fameux savon à base de graisse humaine) qu’à sa critique anticapitaliste. Néanmoins, pour Christopher Caldwell, «cynisme sexuel et pessimisme racial marchent souvent en tandem».

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