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Mark Lilla : «L’idéologie de la diversité a effacé le grand récit de l’histoire américaine» L’historien américain des idées a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. Pour le professeur de Colombia, l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche a mis en lumière les limites et les dangers de la politique des identités particulières.

FIGAROVOX. – L’élection de Donald Trump marque-t-elle la fin d’une ère?
Mark LILLA. – Donald Trump me fait penser au funambule Philippe Petit qui traversa les Twin Towers en marchant sur un câble tendu entre les deux sommets des tours. Nous retenons tous notre souffle en attendant de voir s’il réussit sa prestation… ou s’il s’écrase au sol. Dans l’un comme dans l’autre cas, cela fait un carton. Plus pragmatique qu’idéologue, il est toujours sur un fil et réagit en fonction des événements. Dès lors, il est difficile de prédire sa politique. Son élection marque d’abord la fin de l’ère de la politesse dans la politique américaine. Tous les systèmes politiques, y compris démocratiques, comportent des tabous. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire, des mots qu’on ne peut pas dire. Donald Trump a fait sauter tous les tabous jusqu’à verser parfois dans la démagogie pure et dure. La question pour l’avenir est de savoir si Trump est une exception ou s’il va redéfinir les codes politiques pour les années futures.

Est-ce la fin du politiquement correct?

Il ne faut pas confondre politiquement correct et politesse. Le premier va de pair avec la politique des identités et est censé ménager la susceptibilité des minorités. Cette politique communautariste est très profondément enracinée, non seulement dans le parti démocrate, mais aussi dans les écoles, les universités et dans la presse. Ma nièce vient de se postuler à l’université. Voici le formulaire qu’elle a dû remplir. «Tout le monde appartient à une communauté différente déterminée par la géographie, la religion, l’ethnicité, l’idéologie. Choisissez la communauté à laquelle vous appartenez et décrivez votre place au sein de cette communauté.». Les jeunes américains ont été formés dan cette atmosphère politiquement correcte et beaucoup ne voient le monde qu’à travers le prisme de l’identité. Chez eux, tout tourne autour de la définition de leur «moi». Lors de mon retour aux États-Unis, après un an passé à Paris délibérément coupé des médias américains, je me suis rendu compte à quel point nous étions obsédés par ces questions. Même dans le reportage sur les pays étrangers. Je me souviens, par exemple, d’un article sur le sort des transsexuels en Égypte. Un sujet passionnant, sans doute, mais pas un enjeu central pour cette région du monde. Le politiquement correct est devenu une nouvelle forme de provincialisme américain, encore une excuse pour ne pas apprendre l’histoire et essayer de comprendre l’autre comme il est. L’élection de Trump ne va pas changer cette mentalité.

À travers Trump, les ouvriers blancs semblent pourtant se révolter contre cette idéologie…

La campagne a mis en lumière les limites et les dangers de l’idéologie de la diversité. À chaque meeting, Hillary Clinton s’adressait tout particulièrement aux «femmes», «aux noirs», «aux hispanique», «aux gays». Cet appel au vote «ethnique» et «genré» n’a pas fonctionné. D’abord, parce que la classe ouvrière mâle et blanche se sentait oubliée. Celle-ci se perçoit désormais comme un groupe parmi d’autres avec son identité et sa culture propre que les élites du pays regardent avec condescendance. Elle se demande, «qui va s’occuper de nous?». Le multiculturalisme a ainsi fait le lit de la concurrence victimaire et engendré une nouvelle conscience de classe chez ceux qu’on appelle «les petits Blancs». Comme il y a une fierté «Afro-américaine», il y a désormais une fierté de la classe populaire blanche à être plus «vraie» et vertueuse que les élites qui ne font pas un travail honnête, mentent, imposent leurs valeurs à tous et considèrent moralement méprisables ceux qui ne sont pas d’accord avec elles et n’ont pas les mêmes facilités à s’exprimer. C’est une situation malsaine, qui laisse peu de place pour des débats raisonnés sur l’avenir du pays.

Vous avez été le premier à expliquer que la révolution culturelle et morale des sixties devait nécessairement converger avec la révolution économique et sociale de Reagan. L’élection de Trump et la défaite de Clinton marquent-elles la fin de l’idéologie libérale-libertaire?

Avec son slogan «Make America great Again», Donald Trump invoque un passé idéalisé qui doit servir de modèle pour notre avenir.

Figaro Vox

Merci à Stormisbrewing

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