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La patrie en danger » : par ces mots qui empruntent au registre du salut public, Gilles Kepel, spécialiste de l’islam, professeur à Sciences Po, conclut son dernier ouvrage, «La Fracture». S’il s’agit, pour l’essentiel, des chroniques en forme d’entretiens accordées à France Culture de septembre 2015 à juin 2016, celles-ci se voient augmentées d’un bon tiers par un prologue et un épilogue inédits.

[…] L’ouvrage s’inscrit dans un débat en cours qui divise les experts de l’islam. Les uns estiment que les conditions sociales, la discrimination héritée du colonialisme, les ratés de l’intégration, voire un culte nihiliste et adolescent de la mort, suffisent à rendre compte du passage à l’acte des djihadistes français .

Les autres, plus sensibles à l’impact des facteurs culturels , estiment que le contenu idéologique du djihadisme et le « grand récit » que l’EI et consorts véhiculent à l’aide des réseaux sociaux (entre autres, la messagerie Telegram) jouent leur rôle. Gilles Kepel défend cette dernière position et prend donc très au sérieux les idées, les écrits et les programmes des acteurs des massacres des derniers mois. […]

Au-delà des ressentiments de l’auteur et de quelques excès, l’analyse convainc quand elle démontre que la spécificité du djihadisme « troisième génération» tient à sa structure non pas «pyramidale», comme celle d’Al-Qaida, mais «réticulaire» (en réseau). Plus difficile à percevoir, elle laisse aussi plus d’initiative aux acteurs locaux mais n’en traduit pas moins une organisation et une logistique complexes que l’ouvrage excelle à démonter en détail.

Gilles Kepel voit quand même émerger quelques contre-feux quand des «élites musulmanes issues de la méritocratie républicaine» et «sociologiquement musulmane» veulent prendre en main la lutte contre le djihadisme en réorganisant l’islam de France sous leur houlette. […]

Le contre-exemple, lui, s’incarne dans la figure montante de l’ancien tradeur Marwan Muhammad, directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). […] Premier succès : le CCIF serait parvenu à inverser, au moins dans les médias américains, l’image d’une France victime éprouvée par le terrorisme en celle de bourreau colonialiste des musulmanes au nom d’une laïcité qualifiée d’intégriste. Est-ce un signe que la fracture commence à faire sentir ses effets ?

Le Monde

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