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Chronique de Daniel Schneidermann

Si je vous dis « Valdai », sans doute ce nom ne vous évoque-t-il rien. Normal, aucun de vos médias ne vous en a parlé. Si je vous précise qu’il s’agit du « Davos russe », cela vous rappellera peut-être vaguement notre émission avec Monique Pinçon-Charlot et Hubert Védrine, dans laquelle ce dernier nous expliquait que cette réunion annuelle, en Russie, était maintenant bien plus intéressante que les rendez-vous de Bilderberg.

Or donc, Valdai s’est tenu la semaine dernière. Comme prévu, silence radio dans la presse française.

Quand on parle du « Bilderberg russe », d’ailleurs, c’est partiellement inexact, puisque une partie au moins des débats de Valdai est publique. Ainsi du discours de Poutine, qui a été télévisé en direct. Question transparence, les Russes battent donc les Occidentaux. Notons-le simplement au passage.

Dans ce désert, il faut remarquer une oasis : un long article de Sylvie Kauffmann, ancienne correspondante du Monde à Moscou. Une analyse plutôt honnête du discours de Poutine, où l’on note pourtant cette incise ironique de l’auteure : Poutine « se plaint le plus sérieusement du monde de ne pas avoir de “ machine de propagande ”, pas même l’équivalent “ de CNN ou de la BBC ” ».

« Le plus sérieusement du monde » indique que Sylvie Kauffmann ne prend pas cette analyse poutinienne au sérieux.

Hélas, elle ne précise pas pourquoi. Considère-t-elle que les grands médias américains, dont une bonne partie a pris position officiellement pour Hillary Clinton, ne constituent pas une « machine de propagande » ? Considère-t-elle que la vision du monde russe dispose d’un outil aussi performant que les chaines d’info américaines ?

Le plus intéressant de cet article, c’est son titre : « Poutine se repait de la révolte des masses en Occident ». Sans un seul guillemet, ce qui signifie que Le Monde le reprend à son compte. L’œil est d’abord attiré par le verbe. Poutine, donc, « se repait ». Se repait, comme un fauve d’un festin d’antilopes, comme un ogre qui avale au petit déjeuner sa ration d’enfancelets. On connaissait le Poutine joueur d’échecs, machiavélique, dissimulateur, inquiétant, des « Que veut Poutine ? A quoi joue Poutine ? », et autres titres pour Halloween. Voici l’Ogre. On progresse.

Mais la suite est tout aussi mystérieuse. Le Monde considère donc assister à une « révolte des masses en Occident ». Chaque mot de ce titre nous plonge dans un abîme d’interrogations. Où donc Le Monde voit-il « une » révolte unique des masses, pouvant servir de festin à Poutine ? Où voit-il des barricades, des insurrections, des villes en flammes ?

Qui sont « les masses » ?

Et ces « masses », tout droit surgies de la logomachie communiste du XXe siècle. Qu’est-ce que Le Monde inclut donc dans les « masses » ? Les manifestants de Nuit Debout ? Les Brexiteurs britanniques ? Les policiers français enfoulardés ? Les électeurs de Sanders ? De Trump ? De Corbyn ? De Le Pen ? Les anti-migrants allemands ? Les producteur laitiers français ?

Tous ces phénomènes sociaux ou électoraux sont certes concomitants. Le Monde les met-il dans le même sac ? Sous couvert de la dénoncer, Le Monde semble donc étrangement reprendre à son compte la propagande russe (laquelle, oui, à sa petite échelle, si peu comparable à CNN, se déploie en effet en Occident), livrant ainsi le sentiment que Poutine a réussi au-delà de ses espérances, puisqu’il est parvenu à emboucaner Sylvie Kauffmann.

Rue89

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