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La 68e édition du Festival d’Aix-en-Provence s’ouvre avec Cosi fan tutte, de Mozart, mis en scène par Christophe Honoré, en transposant l’œuvre dans les années 1920, à l’époque du fascisme colonial italien en Erythrée.

Appréhendiez-vous d’aborder ce chef-d’œuvre où beaucoup se sont cassés les dents ?

Quand Bernard Foccroulle, le directeur d’Aix-en-Provence, m’a proposé Cosi, c’était juste après les Dialogues. Je me suis dit, si tu veux faire de l’opéra, tu ne peux pas éviter Mozart. C’est comme faire du théâtre sans jamais monter Shakespeare ou Racine. Mais en transposant Cosi dans les années 1920, à l’époque du fascisme colonial italien en Erythrée, je suis sûr d’avoir apporté au livret de Da Ponte un inconfort et une stimulation.

Vous revendiquez des acteurs noirs sur scène : est-ce à cause des polémiques autour de la coutume du « blackface », ces personnages de couleur ridiculisés par des acteurs blancs grimés ?

Je pense qu’il n’y a pas de « blackface » inconséquent. Se déguiser en Noir est toujours un acte raciste. Ces acteurs ne sont pas là sans raison : ils incarnent une population autochtone durement discriminée par les Blancs, prête à se soulever contre l’envahisseur – en l’occurrence les deux soldats de Mussolini amoureux des filles de colons. On a chanté en italien en Afrique à ce moment-là. D’où l’idée d’aller chercher le chœur de l’Opéra de Cape Town.

C’est important, pour vous, la question des minorités sur les plateaux ?

Dans les Dialogues [des carmélites], je voulais absolument des religieuses noires et asiatiques, ce qui correspond à la réalité des couvents. J’avais été très touché qu’on me reproche, dans La Belle Personne, d’avoir tourné dans un lycée « de Blancs » dans le 16e arrondissement de Paris, alors que c’était un choix architectural. Il faut se poser ces questions-là.

Je fais partie d’une génération qui a été traumatisée par les publicités United Colors of Benetton…

Vous vous sentez une responsabilité politique ?

Non, mais je ne voudrais pas faire partie des artistes aveugles. On n’est pas des prophètes. On n’a ni les idées ni les solutions. Mais on peut dire qu’on est perdus, comme tout le monde. Et puis, il faut parler du passé colonial de l’Europe, rendre compte de la violence de notre propre culture, de Mozart, de notre ethnocentrisme face à des indigènes qu’on a toujours méprisés et spoliés.

Vous avez d’ailleurs adressé une note d’intention au chœur, aux figurants…

Oui. Il s’agit quand même de mettre en scène des gens de couleur maltraités par des Blancs. Mais ils ont décidé d’accepter. La question s’est par contre révélée rédhibitoire aux Etats-Unis : nous n’avons pas réussi à faire aboutir le projet de coproduction avec Chicago. Pour eux, le sujet est trop explosif.

Le Monde

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