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La projection de la première mondiale du film n’avait pas encore commencé, mais la foule n’a pas pu se retenir : ovation debout! Les quelque 1200 personnes réunies au Eccles Theater, à Park City, tenaient à acclamer le jeune réalisateur Nate Parker, qui présentait en janvier au Festival de Sundance le fruit de sept années de labeur. Un premier long métrage qui fut financé grâce à une soixantaine d’investisseurs privés – dont la star française de la NBA Tony Parker.

Ancien lutteur universitaire devenu acteur , Parker nourrit depuis sa jeunesse une «obsession» pour l’esclave afro-américain Nat Turner. Travaillant dans les plantations de Virginie dès son enfance, il a mené en août 1831 l’une des insurrections anti-esclavagistes les plus meurtrières de l’histoire des États-Unis. Un résumé :

“Cette révolte dure deux jours, pendant lesquels sa bande, qui compte jusqu’à 70 hommes, massacre une soixantaine de blancs, hommes, femmes ou enfants. Une milice deux fois plus puissante que la faction d’esclaves révoltés finit par mettre fin à ses agissements. Toutefois, Nat Turner n’est capturé que le 30 octobre. Il est jugé le 5 novembre dans la ville de Jérusalem en Virginie et pendu le 11 novembre avec dix-huit de ses complices, son corps étant ensuite mutilé. Avant son exécution, l’homme de loi Thomas Ruffin Gray l’interroge et recueille ses paroles dans un ouvrage ensuite publié sous le nom de The Confessions of Nat Turner, et qui constitue un document historique essentiel pour mieux comprendre le personnage de Turner.”

Un sujet dont l’industrie ne voulait rien savoir. D’autant plus que le projet était initié par un acteur plus ou moins connu, et qui voulait contrôler tous les aspects du processus créatif. Pour recevoir de l’argent, a-t-on averti Parker, il faudrait une vedette établie, moins de violence, moins de scènes de combat élaborées, et au moins quelques blancs dans des rôles plus importants afin de pouvoir faire du profit à l’international.

Parker a choisi de se fier à ses instincts et le pari a été payant. The Birth of a Nation a été le grand vainqueur du dernier Festival de Sundance, remportant les deux distinctions suprêmes dans la catégorie «drame» : le Grand prix du jury et le Prix du public. Le film a également été acquis par Fox Searchlight, qui a déboursé la somme record de 17,5 millions $ (7,5 millions $ de plus que le budget du film) pour acquérir les droits de distribution mondiaux. Le studio a bonne réputation auprès du milieu indépendant, et a propulsé de modestes productions comme Juno, Slumdog Millionaire et Beasts of the Southern Wild dans les hautes sphères de la course aux Oscars.

La réception critique a été enthousiaste, avec une note de 77% sur Metacritic (une seule des 10 critiques n’est pas positive, reprochant au film sa «maladresse»). Manohla Dargis du New York Times, dans son compte-rendu de Sundance, a été convaincue à moitié, vantant sa «rare ambition» et ses «séquences puissantes», mais regrettant des «longueurs et des choix visuels malheureux». Elle croit aussi que le film a consciemment évité des passages particulièrement douloureux de l’histoire (comme le massacre de femmes et d’enfants par la bande de Turner) afin d’acquérir un «avantage commercial».

The Birth of a Nation «a secoué le festival», rapporte Dargis avec approbation. Même ceux qui n’ont pas vu le film sont décontenancés ne serait-ce que par son titre. On a droit ici à un cas saisissant d’appropriation culturelle inversée, où le groupe opprimé fait sien l’héritage du groupe dominant. Parker ne se cache pas d’avoir cherché à brasser la cage, comme on peut le constater dans cette entrevue accordée à Filmmaker Magazine :

“J’ai fait le film avec l’intention spécifique d’explorer l’Amérique à travers le contexte de l’identité. Tant d’injustices raciales que nous endurons aujourd’hui sont symptomatiques d’une plus grande maladie – celle que nous avons été systématiquement conditionnés à ignorer. Que ce soit les vérités aseptisées au sujet de nos ancêtres, ou la mauvaise éducation concernant les jours sombres de l’esclavage dans ce pays, nous avons refusé d’affronter honnêtement les nombreuses afflictions de notre passé. Cette maladie du déni est une pierre d’achoppement massive sur le chemin de la guérison. ”

“Aborder The Birth of a Nation de Griffith est l’une des nombreuses étapes nécessaires dans le traitement de cette maladie. Le film de Griffith reposait largement sur la propagande raciste pour évoquer la peur et le désespoir afin de consolider la suprématie blanche comme élément vital de la subsistance américaine. Non seulement ce film a encouragé la résurgence massive du groupe terroriste Ku Klux Klan, et le carnage commis contre les personnes d’ascendance africaine, mais il a servi de base à l’industrie du cinéma telle que nous la connaissons aujourd’hui.”

“J’ai récupéré ce titre et lui ai donné une autre vocation afin qu’il agisse comme un outil pour lutter contre le racisme et la suprématie blanche en Amérique, pour inspirer un caractère tumultueux envers toute forme d’injustice dans ce pays (et à l’étranger) et de promouvoir une confrontation honnête qui saura galvaniser notre société vers la guérison et le changement systémique durable.”

(…)

LaPresse.ca

Merci à cathyB

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