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Derna, en Libye, est le premier territoire du «califat» d’Abou Bakr Al-Baghdadi hors d’Irak et de Syrie. Sid Ahmed Hammouche, journaliste a Sept Info, A réussi à joindre des habitants qui vivent désormais sous le drapeau de l’Etat islamique et à recueillir leurs témoignages d’habitants. Ce récit est le premier volet d’une série sur la Libye aujourd’hui.

Pour Karam, le pire est à venir. En attendant, les milices recrutent au Maghreb, en Orient, en Europe et même au Sahel. Elles se préparent au combat, en hommes et en matériel. Sur les réseaux sociaux, elles promettent aux Occidentaux et aux forces de l’OTAN que la Libye sera leur tombe.

Un adage populaire libyen dit: «Si tu veux connaître les dernières nouvelles du village et d’ailleurs, écoute ce que te raconte l’épicier du coin.» Ça tombe bien: Mahmoud tient un magasin d’alimentation générale en plein centre de Derna, bourgade libyenne qui compte plus de 100’000 habitants et où flotte désormais le drapeau noir de l’Etat islamique. Il explique que depuis plusieurs mois, des hommes armés sont devenus des fidèles de son échoppe. […]

Mahmoud sait parfaitement avec qui il fait affaire. C’est sur un ton enjoué qu’il fait part de sa grande sympathie pour ses clients armés: «Tout le monde les accepte. Ils sont nos frères, nos défenseurs. Que Dieu les protège. Nos chabab (la jeunesse salafiste, ndlr) ont remis l’ordre, la sécurité et ont fait refleurir le business, alors que le chaos règne partout ailleurs dans le pays.» L’épicier, qui se revendique bon musulman, rêve de vivre sous la charia, la loi d’Allah. […]

«Ici, vaut mieux se la fermer, sinon tu es un Libyen mort, glisse un enseignant. C’était difficile de s’exprimer librement au temps du colonel Kadhafi, mais aujourd’hui, c’est bien pire. En plus de boucler nos clapets, il faut également fermer nos yeux sur ce qui ce passe ici. » Et de couper court à la conversation. […]

Amir, 25 ans, a passé plus de six mois dans une des bases militaires du groupe salafiste d’Ansar al Charia avant de vite déchanter et de prendre la poudre d’escampette. Cela fait bientôt un mois qu’il a quitté la Libye pour se cacher en Egypte. «Ils voulaient faire de moi un égorgeur, un terroriste», raconte ce jeune électricien qui a participé à la révolte du 17 février 2011, celle qui aboutit à la chute de Kadhafi. «J’appartenais à la section Jund Allah, une sorte d’unité d’élite dont la mission essentielle est de préparer des attentats suicides et des prises d’otages. Les instructeurs, qui vantent leur dernière expérience de la guerre sainte en Syrie, nous montrent comment fabriquer des explosifs, des bombes télécommandées IED (engins explosifs de circonstance, ndlr), réaliser des prises d’otages et surtout tuer de sang-froid, versets coraniques à l’appui.» […]

L’instructeur, un Libyen de 42 ans, nous criait qu’il fallait s’habituer au geste, et à la couleur du sang. Surtout, il ne fallait pas oublier la basmala, un acte de foi pour dire «au nom de Dieu clément et miséricordieux». Parce que dans un futur proche, j’allais répéter les mêmes gestes, mais cette fois-ci sur les kufar (les non-musulmans, ndlr) et les otages occidentaux.» […]

Ils ont, au début, accepté de combattre aux côtés des laïcs, des communistes, des socialistes. Mais une fois le régime de la Grande Jamahiriya verte tombé, ils ont fait main basse sur les entrepôts d’armes, les casernes, les fonds publics.

D’autres sont partis faire la guerre sainte en Syrie afin de soutenir leurs frères du front Al Nosra avant de revenir très vite au pays», explique Karam, 38 ans, qui appartient à la puissante tribu des Ouchaïbatt. […]

Le médecin de Derna, lui, laisse éclater sa colère, lâchant ses questions comme autant de bombes: «Pourquoi l’Europe et l’Amérique laissent-elles les djihadistes pulluler en Libye? Pourquoi l’OTAN ferme-t-il les yeux sur le sanctuaire qu’est Derna pour Daech ? Pourquoi les hommes de l’EI se baladent-ils en Méditerranée et au Sahara sans être inquiétés ? Ne sommes nous pas, nous aussi, des Charlie ? Où est donc l’Europe de la démocratie, l’Amérique de la liberté? Qui peut nous débarrasser de cette peste verte ?»

Le médecin conclut en disant sa peur. Pour l’avenir de cette Libye, territoire livré à des djihadistes intouchables, souk d’armes à ciel ouvert, menace directe aux portes de l’Europe.

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Merci à Lilib

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