Fdesouche

En tournant le dos au gaz de schiste, la France se serait privée d’une rente comprise entre 103 et 294 milliards d’euros sur trente ans, ainsi que de 120 000 à 225 000 emplois sur la même période, soit 1,5 à 2 points de chômage en moins. C’est ce qui ressort d’un rapport commandé en 2012 par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, finalisé début 2014 mais jamais publié. Un document que « le gouvernement s’est empressé d’envoyer aux oubliettes », selon Le Figaro qui se l’est néanmoins procuré et qui en a publié l’intégralité sur son site Internet, lundi 6 avril au soir.

En janvier 2014, déjà, Le Canard enchaîné avait révélé l’existence de ce rapport. Si l’on ignore comment le document, dont Le Figaro écrit qu’il « n’a été tiré qu’en sept exemplaires », a refait surface un an plus tard, il n’apporte en réalité guère d’éléments nouveaux sur le fond du dossier. C’est-à-dire sur la possibilité d’utiliser une autre technologie que la fracturation hydraulique, interdite en France, pour exploiter les huiles et gaz de schiste. Il ne fait, sur ce point, que reprendre les travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) publiés en novembre 2013. Il n’apporte pas non plus d’éléments étayant les perspectives de création de richesse et d’emplois annoncées.

Seule certitude : il resurgit dans un contexte où les industriels du secteur s’activent pour rouvrir le dossier des hydrocarbures non conventionnels en France. Décryptage.

Une fausse alternative à la fracturation hydraulique

La seule technique aujourd’hui disponible pour extraire les huiles et gaz de schiste de la roche-mère – la roche profonde (entre 1 500 et 3 000 mètres) et compacte où ils sont confinés – est la fracturation hydraulique. Celle-ci consiste à fissurer la roche en y injectant, à très forte pression, un fluide composé principalement d’eau, mais aussi de sable et d’un cocktail d’additifs chimiques toxiques.

Du fait des risques pour l’environnement, cette technique, par ailleurs très gourmande en eau et susceptible de provoquer des fuites de méthane, a été prohibée en France par la loi du 13 juillet 2011, votée à l’initiative de Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Une interdiction plusieurs fois réaffirmée par François Hollande et par ses ministres de l’écologie successifs.

Le rapport commandé par M. Montebourg affirme que « les progrès technologiques spectaculaires permettent désormais de concilier l’exploitation des gaz de schiste avec le respect scrupuleux de l’environnement et de marier les hydrocarbures non conventionnels avec l’écologie ». Il préconise une autre méthode, dite « stimulation au propane pur ou au propane non inflammable ». En réalité, il s’agit toujours de fracturer la roche-mère, non plus avec de l’eau, mais avec du propane liquéfié ou un dérivé fluoré. L’avantage est de ne pas consommer d’eau et de ne pas nécessiter d’additifs chimiques.

Mais le propane pur est un gaz inflammable. Dans son rapport, l’Opecst indiquait que cette technique « n’est pas adaptée aux contextes très denses en population » et qu’il convient de l’« encadrer très strictement pour la sécurité des travailleurs et de la population ».

D’où l’idée de recourir à une forme fluorée du propane, l’heptafluoropropane, non inflammable (en anglais non flammable propane ou NFP). Ce gaz, produit notamment par le chimiste franco-belge Solvay, est utilisé comme propulseur dans les inhalateurs médicaux et comme agent anti-incendie dans les bâtiments. Pour les gaz de schiste, son utilisation est développée par la société texane ecorpStim.

Mais, comme le relevait l’Opecst, ce procédé n’a pas encore fait l’objet d’essais à taille réelle. Il ne s’agit donc encore que d’une piste de recherche. En outre, comme le propane, le NFP est onéreux. « Pour que son exploitation soit économiquement rentable, il faudrait que ce coût soit compensé par les gains de productivité réalisés et par les économies faites sur les additifs chimiques et le transport », soulignait l’Office parlementaire.

Ce n’est pas tout. Le NFP est un gaz à puissant effet de serre : son potentiel de réchauffement climatique est environ 3 000 fois supérieur à celui du CO2, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les industriels du secteur considèrent eux-mêmes que son « empreinte écologique » est « très importante ». Au final, l’heptafluoropropane est loin d’être la panacée décrite par le rapport Montebourg et, à ce jour, il n’existe pas d’alternative « propre » à la fracturation hydraulique.

Des gisements incertains dans le sous-sol français

« De bonnes raisons existent de considérer la présence de ressources très significatives en France, notamment de pétrole de schiste dans le Bassin parisien et de gaz de schiste dans le bassin du Sud-est », affirme le rapport remis à Arnaud Montebourg. Dans le même paragraphe, il poursuit pourtant : « L’ampleur précise des ressources ne peut néanmoins être confirmée – ou infirmée – que par un programme de recherche et d’exploration. »

En fait, aucune certitude n’existe sur le potentiel réel du sous-sol français. Les seuls chiffres disponibles au niveau mondial sont ceux de l’agence américaine d’information sur l’énergie (U.S. EIA), dont les dernières données datent de juin 2013. Elle estimait à un peu moins de 3 900 milliards de m3 les réserves « techniquement récupérables » de gaz de schiste en France (3 600 milliards dans le Bassin parisien et 200 milliards dans le Sud-est).

Des chiffres en forte baisse par rapport aux évaluations faites deux ans plus tôt, qui avançaient un total de 5 100 milliards de m3 de gaz de schiste exploitables. Quant aux huiles de schiste récupérables, l’agence américaine estime leur volume à 4 milliards de barils pour le Bassin parisien, les ressources exploitables étant nulles dans le Sud-est.

Ces données sont à considérer « avec beaucoup de précaution », souligne Jean-Louis Schilansky, président du Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC). « Toutes ces estimations sont faites à partir d’analogies géologiques entre différents bassins et on ne peut pas savoir quelles sont les réserves tant qu’on n’est pas allé voir. » 

La seule façon d’en avoir le cœur net serait ainsi de procéder à des forages exploratoires, qui nécessiteraient, eux aussi, de recourir à la fracturation hydraulique. Autrement dit, la manne financière et les créations d’emploi que fait miroiter le rapport établi pour M. Montebourg reposent sur des hypothèses pour le moins mal assurées.

Les industriels en sentinelle

En dépit de ces freins et de ces incertitudes, les industriels n’ont pas tourné la page du gaz de schiste en France et des demandes d’exploration sont toujours en attente de réponse du ministère de l’écologie.

Début 2015, le groupement des entreprises et des professionnels des hydrocarbures et des énergies connexes (GEP-AFTP) a ainsi créé le CHNC qui réunit des entreprises telles que Total, GDF Suez, Air Liquide, Arkema, Schlumberger, Vallourec ou encore Solvay.

Ce centre, qui s’est doté d’un conseil scientifique, se présente comme une structure d’information et non pas de lobbying. Pascal Baylocq, qui préside le groupe de travail du GEP-AFTP sur les hydrocarbures non conventionnels, n’en juge pas moins « bienvenu » le rapport Montebourg : « Tout ce qui peut contribuer à éclairer le débat est sain et ce rapport va dans ce sens. »

Pour le gouvernement en tout cas, le débat reste clos. La ministre de l’écologie l’a rappelé lundi soir sur son compte Twitter : « Les gaz de schiste ne sont plus d’actualité (…) Faisons la transition énergétique. Investissons ENR (énergies renouvelables). »

Mardi 7 avril, Ségolène Royal a précisé dans un communiqué : « Relancer le débat sur les gaz de schiste pourrait déstabiliser l’effet de relance économique créé par la transition énergétique. A l’heure où l’on cherche à mobiliser les acteurs des filières industrielles sur les économies d’énergie et les énergies décarbonées, il faut de la stabilité et de la cohérence dans les priorités. »

« L’abandon définitif par le gouvernement de la recherche et développement sur toutes les techniques d’extraction de gaz de schiste est une bonne nouvelle pour le climat, confirme Matthieu Orphelin, le porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. C’est dans les énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie qu’il faut investir. »

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux