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Le philosophe Alain Finkielkraut s’interroge sur la difficulté de nos élites à penser ce qui nous arrive, sans céder aux anachronismes.
Récemment, l’écrivain algérien Boualem Sansal livrait cette réflexion désabusée : « Les Européens ont toujours sous-estimé l’islamisme. » Cette minoration a-t-elle pris fin ?
Au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher de Vincennes, et après le refus cinglant des jeunes des « quartiers populaires » de participer à la grande manifestation unitaire du 11 janvier, il était difficile pour les Français, même les plus angéliques, de continuer à faire l’impasse sur les dangers et sur la séduction de l’islamisme radical. Mais la propension à noyer le poisson dans ses causes supposées n’a pas disparu. Et le gouvernement a donné l’exemple en dénonçant l’apartheid culturel, ethnique et territorial qui sévirait dans nos banlieues. Ainsi la République a-t-elle plaidé coupable pour les attaques mêmes dont elle faisait l’objet.
Pendant trente ans, un mélange de naïveté et de lâcheté a-t-il empêché de nombreux intellectuels de prendre la mesure du phénomène ?
Je ne vois chez nos intellectuels ni naïveté, ni lâcheté, mais, si j’ose dire, une vigilance anachronique. En Sarkozy, conseillé par Patrick Buisson, son « génie noir », ils combattaient la réincarnation du maréchal Pétain. Les musulmans leur apparaissaient comme les juifs du XXIe siècle. L’antifascisme façonnait leur vision du monde. Ils ne voulaient pas et ne veulent toujours pas voir dans la crise actuelle des banlieues autre chose qu’une résurgence de la xénophobie et du racisme français.
En France, quelle place a tenu – et tient – la francophobie d’une part des élites dans cette minoration ?
Les élites dont vous parlez ne sont pas francophobes ; face au nationalisme fermé de «l’idéologie française», elles se réclament de la patrie des droits de l’homme. Leur France est la «nation ouverte» célébrée par Victor Hugo, «qui appelle chez elle quiconque est frère ou veut l’être».

Le problème, c’est que, toutes à cette opposition gratifiante entre l’ouvert et le fermé, ces élites légitiment la haine qui se développe dans certains quartiers de nos villes pour les «faces de craie». C’est l’exclusion, disent ces élites, qui engendre la francophobie.

Avec Régis Debray, Elisabeth Badinter, Catherine Kintzler et Elisabeth de Fontenay, vous avez signé un texte intitulé « Le Munich de l’école républicaine », au moment de l’affaire dite de Creil (sur le port du voile à l’école), en septembre 1989. Plus de vingt-cinq ans après, quelles menaces pèsent, d’après vous, dans l’enceinte scolaire sur la conception exigeante de la laïcité dont vous vous réclamez ?
La menace était très clairement énoncée en 2004 par le rapport Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires : « Tout laisse à penser que, dans certains quartiers, les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être un objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du halal (autorisé) et du haram (interdit). » La question du voile et celle de la nourriture sont deux composantes d’un phénomène beaucoup plus large de sécession culturelle. Et ce phénomène est en expansion. […] marianne

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