Fdesouche

Monétarisées et financiarisées, d’immenses zones naturelles sont transformées en produits boursiers ou fonds spéculatifs. En investissant dans des actions d’espèces en voie d’extinction, de “mouches des sables amoureuses des fleurs”, d'”orangs outans” ou encore des infatigables “saumons”, tous “empêcheurs de tourner en rond”; les entreprises polluantes et peu scrupuleuses obtiennent des “certificats de bonne conduite” qui les dispensent de suspendre leurs activités les plus néfastes… ou pire, de les exercer en toute bonne conscience. Ainsi est apparue la notion d'”actions vertes” (marécages, cactus, chiens de prairie ou encore lézards), de “capital naturel” et de financiarisation de la nature, selon le précepte que la nature serait en danger parce qu’elle est gratuite.

Le prix des produits de consommation courante ou manufacturés; c’est ce que qu’ils coûtent réellement ou ce qu’on est prêt à payer pour se les procurer. La nature est elle une valeur échangeable et faut-il donc y mettre un prix comme sur toute chose pour ne pas la voir se déprécier?

Gratuite, la nature?

C’est le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles aux Etats-Unis (1) -où les colonies ont totalement disparu dans 27 états pour cause de pesticides systémiques- qui a donné une valeur aux écosystèmes pour la pollinisation des récoltes, processus indispensable à la reproduction sexuée des plantes à fleurs (graines, fruits, racines ou bulbes, feuillages). Les abeilles y participent à 80%. Sans elles, l’homme devrait donc la faire à la main. Sans ces pollinisateurs, dont la valeur a été estimée par l’Inra à 153 milliards d’euros, notre source d’alimentation se limiterait principalement aux seules céréales.

La biodiversité, une forme de “capital naturel”

Le “capital naturel” fait référence à la terre, à l’air, à l’eau, aux organismes vivants ainsi qu’à toutes les formations présentes sur la Terre qui nous procurent des biens et services environnementaux requis pour notre survie et notre bien-être.

“Il est le stock qui produit le flux de ressources naturelles: les poissons dans l’océan qui génèrent le flux de pêche allant sur le marché; la forêt sur pied à l’origine du flux d’arbres coupés; les réserves de pétrole dans le sol dont l’exploitation fournit le flux de pétrole à la pompe” (2).

Soigneusement conservées dans des bio-banques, dont le chiffre d’affaires dépasse pour certaines les 30 millions de dollars chaque année (3), des actions « serpents jarretière », « truites arc-en-ciel » « éperlan » « longicorne » ou encore « crevettes » permettent aux « clients » de choisir un produit pour compenser la destruction inévitable des espèces par le projet d’aménagement qu’ils envisagent au sein du territoire concerné, les soulageant ainsi de leur responsabilité et leur permettant de se dédouaner de leur absence de culpabilité par un retour sur investissement prometteur.

C’est la loi de l’offre et de la demande, celle du marché appliqué aux espèces en danger. C’est ainsi que certaines espèces -plus « lucratives »- pourront subsister tandis que d’autres disparaitront irrémédiablement. La rareté va engendrer une hausse du prix de telle ou telle espèce, non pas en devenir, mais en voie de disparition.

Basé sur un système économique où seules les notions de travail et du capital avaient de la valeur, le “capital naturel” représente donc aujourd’hui une tentative de prise en compte par la science économique des apports et des contraintes du milieu naturel sur les activités économiques humaines. Jusqu’ici négligé, il aurait mené à sa perte les ressources naturelles, la dégradation de l’environnement naturel et la perte de services environnementaux. C’est un nouvel espace économique (4) qui intéresse, désormais, banques et investisseurs et permettrait de prendre en compte certains aspects des interactions entre la sphère économique et la sphère écologique ou de rendre visible la valeur intrinsèque de la nature pour l’adapter au système. C’est le principe de la compensation du dommage et de l’impact écologiques sur les espèces ou leur habitat.

La biodiversité, nouvelle opportunité?

Pas vraiment car les Mitigation Banks qui ciblent un milieu naturel prioritaire: les zones humides, sont apparues dès 1970 aux Etats-Unis et c’est en 1991, que furent créés les 1ères banques de la biodiversité. “Ecosystèmes des services”, “banques de la biodiversité”, “banques de la conservation”, tous ces vocables ont pour unique but de dissimuler l’approche économique sur l’écosystème de la biodiversité et la marchandisation de la nature au nom d’une spéculation financière inavouable.

Or, la nature n’a pas été produite pour être vendue, ce n’est pas un bien économique, ni un bien en accès libre, ni une connotation marchande, mais un bien commun dont l’Etat Nation doit être le garant. Et « les biens communs ne peuvent être mis sur le marché » (5) . Sommes-nous propriétaires de la nature, des animaux et, d’ailleurs, déplace t-on des populations entières d’espèces d’un endroit à un autre sans dommage collatéral? Ne risque t-on pas de priver les générations futures de leur droit à l’auto-suffisance alimentaire?

Permis de polluer, de détruire tout en ayant bonne conscience. 

Ainsi, la forêt de Bornéo -qui abrite l’un des écosystèmes les plus riches en biodiversité- a été achetée par un fonds d’investissement qui la revend aux producteurs d’huile de palme; c’est ainsi que plus de 2/3 de ses arbres ont disparu (6). Les 80.000 hectares restants de la forêt primaire sont la propriété de Malua Bank dont l’approche commerciale cherche à rentabiliser sa valeur écologique par sa conversion en unité monétaire.

C’est pourtant le système économique lui-même qui détruit la nature : consommation d’eau, déforestation, destruction des zones humides, réchauffement climatique, empreinte écologique. Déjà, le « jour du dépassement » (7)arrive de plus en plus tôt dès le mois d’août. En 2050, nous aurons alors besoin de 2 planètes ½ pour assouvir nos besoins. Or, conservés in situ, les écosystèmes fournissent des services pour notre préservation: contrôle de l’érosion, capture du carbone, etc…

Le marché du carbone a été créé par le “système européen d’échanges des quotas d’émissions de carbone”; c’était le choix de l’Union européenne après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005. Basé sur le système du « cap and trade/compliance » (8) , ce mécanisme économique comprenait deux volets: un plafond d’émissions fixé par le régulateur du marché (la Commission européenne), et un système échange de quotas d’émission (ETS) entre acteurs publics et privés contraints à réduire leurs émissions de CO2. Ce système concernait quelques 15 000 installations industrielles qui étaient soit bénéficiaires à titre gratuit (à concurrence d’un certain plafond), soit acheteurs sous forme d’enchères (9) d’un droit à émettre des gaz à effet de serre.

Pour réduire ses émissions, chaque pays industrialisé signataire recevait, en effet, un quota de carbone, il permettait à une entreprise “polluante” A qui n’utilisait pas ses crédits de les revendre à une entreprise B qui dépassait son quota avec, néanmoins, la possibilité d’investir dans des sources d’énergie propre dans un pays moins industrialisé. C’est ainsi que l’entreprise allemande “Global Woods” a saisi cette opportunité et que l’Ouganda est devenue l’une de ses destinations-carbone où elle investit, espérant contribuer à la protection climatique.

De là est née l’idée -avec pour objectif fallacieux de la sauver- d’appliquer un coût à la nature. Et aux écosystèmes: la loi de l’offre et de la demande. C’est surtout la fin de notre planète, telle qu’elle existe aujourd’hui.

________________________________________

Notes :

(1) (en anglais, « Colony Collapse Disorder »: CCD)
(2) Herman Daly (1994, p 30) (Glossaire du CEECEC)
(3) 2,5 à 4 milliards pour l’ensemble des banques référencées
(4) The MATRIX (Innovative Markets and Market like instrument)
(5) Alberto Lucarelli, Politis « hors série » novembre-décembre 2014
(6) Il reste à peine 45 400 km2 de terrain couverts par la végétation sur 364 000 km2 de terrain.
(7) « Overshoot Day »
(8) marché pour protéger la santé humaine et l’environnement par le contrôle de grandes quantités d’émissions à partir d’un programme de plafonnement et d’échanges
(9) Les transactions peuvent se faire sur un marché organisé (une bourse du carbone), ou de gré à gré (Over The Counter), directement entre un acheteur et un vendeur

HUFFINGTON POST

Fdesouche sur les réseaux sociaux