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Si les sociologues débattent encore sur l’origine exacte et sur la définition à donner à cette pratique (consistant, pour faire vite, à escroquer un pigeon en lui proposant toutes sortes de solutions miracles), tout le monde s’accorde pour faire d’un certain Donatien Koagne l’emblème de la feymania des années 1990. Ses mougous – pigeons dans le langage des feymen – s’appelaient à l’époque Mobutu, Compaoré, Sassou ou Eyadema… Les poids-lourds de la Françafrique en somme, auxquels le king « empruntait » des millions de dollars sous prétexte de les « multiplier » [1]. Une entourloupe resservie mille fois, mais toujours avec le même panache, qui tourna mal. Arrêté au Yémen en 1994, le feyman milliardaire s’y fit, dit-on, couper les deux mains [2]…


Les mésaventures du brave Donatien n’ont pourtant pas découragé les très nombreux Camerounais qui rêvent d’argent facile. Hypnotisés par les rappeurs noirs-américains et les légendes hollywoodiennes tombées des satellites, nombreux sont ceux qui se verraient bien, eux aussi, profiter des jets privés et des piscines en marbre que s’offraient, à l’époque, Koagne et ses semblables. Les feymen sont ainsi devenus des modèles flamboyants pour une jeunesse qui ne croit plus aux diplômes sans valeur et aux fausses promesses « démocratiques » [3]. Pourquoi, dans un pays où l’argent est méthodiquement siphonné par une poignée de gérontocrates kleptomanes, faudrait-il « attendre son tour » ou « faire de longues études » ? Mieux vaut directement entuber son prochain !
Certes la « multiplication de billets » n’est plus qu’une vieillerie à l’usage des petites frappes qui jouent les gros caïds [4]. Mais les histoires de feymania continuent d’abreuver une presse camerounaise avide de rocamboles. Un jour c’est un homme d’affaires qui s’est fait refiler – à prix d’or – un produit « magique ». Puis vient le tour d’un chef traditionnel piégé par les mirobolantes promesses d’un soi-disant « émissaire du Président Paul Biya ». Et voilà de faux conférenciers qui allègent les comptes d’une ONG humanitaire de plusieurs millions ! Preuve qu’elle est devenue un phénomène de société, la feymania est le thème du dernier film produit au Cameroun, Emeraudes, qui raconte le piège tendu par des feymen… à un producteur de cinéma [5].
« Quoi qu’on pense d’eux, on est épaté par l’originalité des arnaques qu’ils concoctent », confesse la chercheuse Dominique Malaquais dans une étude pionnière sur le sujet [6]. Car une des astuces des feymen est d’embarquer leurs mougous dans des histoires que ces derniers auront du mal, par la suite, à confesser. Difficile d’avouer qu’on a cherché à s’enrichir illégalement, qu’on a extorqué un diplôme ou une fonction indue, ou même qu’on s’est fait duper par ses « meilleurs amis ». Aussi ne compte-t-on plus, parmi les étudiants, banquiers, proviseurs et autres députés, les victimes de la feymania. Même des prêtres y sont passés ! On comprend aussi pourquoi, après l’arrestation de Donatien Koagne, le carnet dans lequel il notait les noms de ses « associés » fit courir toutes les polices secrètes du monde qui cherchaient à éviter que ne fut entacher la blanche réputation des barons de la mafia françafricaine . Nul besoin, donc, de « prévenir Interpol ».
(….) Backchich.info

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