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Chômage, horaires décalés ou emplois du temps surchargés: et si la précarité professionnelle des jeunes de la génération Y avait un impact négatif sur leur vie amoureuse? Enquête.

Deux semaines par mois, je vis à 400 kilomètres de mon mec.” À défaut de trouver un boulot à côté de chez elle, Margot, 33 ans, mariée depuis cinq ans, est obligée de vivre la moitié du temps loin de son compagnon.

Et elle n’est pas la seule dans ce cas. Slashers, chômeurs ou travailleurs précaires, les jeunes de la génération Y ne sont pas épargnés par un marché de l’emploi difficile où le CDI se fait rare. Comment parvient-on à faire cohabiter couple et précarité quand celle-ci implique des sacrifices amoureux?

Je fais la navette depuis un an entre mon cabinet de Pau et un petit village près de Niort, où mon mari et moi avons acheté une maison”, raconte Margot. Dix jours par mois, cette infirmière libérale quitte le cocon familial pour rejoindre son pied-à-terre dans le sud-ouest. Il y a un an, quand les parents de la jeune femme ont mis en vente leur maison des Deux-Sèvres, le jeune couple, alors installé à Pau, décide de l’acheter, pensant trouver sans trop de difficultés du travail près de Niort.
Seulement, après avoir cherché en vain une place dans un cabinet, Margot s’est résignée à garder celle qu’elle occupait jusque là dans le sud-ouest. “C’est difficile d’être séparés, avoue la trentenaire. Quand on se retrouve, il faut reprendre ses marques.
Il n’était pas question de sacrifier notre couple
Selon Patricia Delahaie, psychosociologue et auteure de Comment s’aimer toujours: “Le risque, pour la jeune génération, est de ne pas patienter face à la difficulté. Mais si le couple continue à échanger, à se raconter des choses intimes et que les deux personnes ne deviennent pas étrangères l’une à l’autre, ça peut fonctionner.
De ce côté-là, aucun problème pour Margot et son mari. “On s’appelle deux à trois fois par jour. Le matin, pour se dire bonjour et le soir, pour se souhaiter bonne nuit. On se donne les dernières nouvelles.

Les jeunes réaménagent leur vie de couple. Dans la vie actuelle, on sait qu’il y a des contraintes de plus en plus grandes au niveau du travail.

Pour eux, il n’a jamais été question de se séparer. “Notre couple est solide, alors ce n’est pas une situation comme celle-là qui va le faire capoter. C’était un choix de déménager, donc c’est plus facile à encaisser. Je viens de trouver du travail dans les Deux-Sèvres, mais si ça avait trop duré, on aurait sans doute revendu la maison, on n’aurait pas sacrifié notre couple.
Un point de vue partagé par le psychanalyste Pascal Anger: “Avec des aménagements qui permettent de se retrouver, si le couple communique, qu’il y a du respect, du partage et de la confiance, la relation peut tenir.” Si cela vaut pour toutes les générations, qu’en est-il des jeunes nés dans les années 80, pour lesquels la précarité semble être un passage obligé? “Aujourd’hui, les jeunes acceptent mieux une situation professionnelle un peu plus bancale, ils ont toujours vécu avec cette réalité, ce n’est pas un problème pour eux.
Et ils ont moins de difficultés à la faire coïncider avec leurs relations amoureuses: “Ils réaménagent leur vie de couple. Dans la vie actuelle, on sait qu’il y a des contraintes de plus en plus grandes au niveau du travail”, affirme Pascal Anger.
Les couples s’autorisent davantage à ne pas être dans une forme de routine
Les contraintes, Louise et Paul connaissent. Ces deux trentenaires, journalistes télé, ensemble depuis dix ans et parents de deux enfants, doivent s’organiser pour se voir. “Je suis en CDD depuis huit ans et je ne suis pas aux 35 heures, explique Louise. C’est lié à la nature de mon boulot: je travaille sur des magazines pour des boîtes de production. Paul bosse souvent le soir et les week-ends. Moi, je travaille parfois de 9h à 18h, mais en tournage je peux bosser 14 heures par jour. C’est très variable.
Pas forcément un problème à en croire Pascal Anger: “Aujourd’hui, on voit des formes de couple où l’on s’autorise davantage à ne pas être dans une forme de routine. Beaucoup de gens ont des horaires décalés.
Pour les deux journalistes, pas question non plus de sacrifier leur couple au profit de leur vie professionnelle: “Si Paul me disait ‘Je vais bosser 4 weekends ce mois-ci’, je l’engueulerais, mais il joue le jeu. On se fixe des limites depuis qu’on a des enfants. Je n’ai jamais eu de période de chômage, du coup, comme on n’a pas peur du lendemain, on peut être plus exigeants. Paul peut refuser, par exemple, de travailler à la fois à Noël et pour le nouvel an.”
Un luxe que Chloé, 25 ans, ne peut pas se permettre pour le moment. Cette jeune réalisatrice est à son compte depuis un an. Elle mène quelques boulots alimentaires en parallèle de son métier, mais c’est bien ce dernier qui l’empêche, pour l’heure, de rencontrer quelqu’un.
Pour avoir une relation sérieuse, il me faudrait une situation financière plus stable et ne plus avoir à courir après les projets. Je pense que je suis assez fermée aux histoires parce que je veux réussir. Je suis obnubilée par mon boulot et avoir un mec n’est pas ma priorité.
Ne pas se voir tout le temps peut stimuler
De leur côté, Louise et Paul mettent un point d’honneur à s’offrir des week-ends en famille et des soirées au restaurant. “Il vaut mieux passer deux bonnes soirées ensemble par semaine que se voir au quotidien et ne vivre que des moments banals, avance Pascal Anger. Un couple se nourrit des expériences de l’extérieur. Ne pas se voir tout le temps peut stimuler, mettre du piment.” Qu’en est-il, justement, des couples qui passent toutes leurs journées ensemble?

“Quand l’un des deux n’était pas bien, l’autre s’efforçait d’aller mieux pour lui remonter le moral.

Florence et Matthieu vivent sous le même toit dans le Puy-de-Dôme. Après avoir quitté en même temps leur emploi dans une enseigne d’électroménager, ils ont vécu cinq mois de chômage. “Du matin au soir, on était ensemble, à part quelques sorties, et on n’avait pas de problèmes l’un avec l’autre, mais on avait besoin de retrouver un rythme, raconte Florence.
À la longue, j’étais énervée de voir que ça ne se décantait pas, côté boulot. Quand l’un des deux n’était pas bien, l’autre s’efforçait d’aller mieux pour lui remonter le moral.” Le couple n’a pas connu de fortes tensions, mais Florence reconnaît que la période était propice. “C’était pendant l’été: on a pu s’aérer, bouger. Enfermés en janvier ou en février, ça aurait pu être plus compliqué.
S’il est certain que les différentes formes de précarité subies par les jeunes mettent leur couple à l’épreuve via les emplois du temps qu’elles imposent, elles restent paradoxalement un nouveau défi à relever pour la génération Y et parfois même un excellent moyen de renforcer une relation déjà solide.
Cheek magazine

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