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A Rudong, les jeunes sont une espèce en voie de disparition. Ce district d’un peu plus d’un million d’habitants dans la province du Jiangsu (est de la Chine) a reçu le qualitatif de « super-vieux », en raison de la forte proportion de personnes âgées : 20 % de la population a plus de 65 ans.

« Le district est entré dans ce stade de son développement démo- graphique vingt ans plus tôt que les autres parties de la Chine, ce qui pousse certains experts à voir en Rudong un prélude de la Chine de deux prochaines décennies », relève l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo dans un reportage.

Car, après trois décennies d’enfants uniques (environ 60 % des familles y sont astreintes stricto sensu, les autres bénéficiant de dérogations diverses), la Chine grisonne à grande vitesse. Le vieillissement prématuré de Rudong n’est pas le fruit du hasard : le district, qui est sous la tutelle de la ville de Nantong, fut une zone pilote dans la mise en œuvre de la planification familiale dans les années 1980.

En trois ans, il parvint à réduire son taux de croissance démographique de 2 % à 0,5 % et fut distingué en 1986 par le gouvernement pour ses prouesses. Or ce passé glorieux menace de faire aujourd’hui sa ruine : Rudong voit se profiler de lourds déficits de ses fonds de pension.
Sa main-d’œuvre est insuffisante pour attirer les investisseurs. Et l’exode des jeunes vers les grandes villes s’accélère. L’hebdomadaire a retrouvé l’un de ces soldats de la politique de l’enfant unique dont le zèle permit à Rudong d’être sacré district « modèle » : Sang Shengfu, aujourd’hui âgé de 58 ans et agent du planning familial depuis vingt-huit ans, se souvient du temps où il « escortait » des couples au dispensaire pour qu’ils se fassent stériliser après la naissance de leur premier enfant.
Lorsqu’il fallait déclencher à l’avance le travail d’une villageoise enceinte qui n’était pas autorisée à avoir un nouvel enfant (pour l’empêcher d’accoucher en secret), les agents du planning familial se relayaient plusieurs jours d’affilée dans la chambre de l’hôpital, rap- porte le journal.
Séquestration, amende
Cette description édulcorée est loin de rendre compte de la brutalité de la police des naissances en Chine. Pour en avoir dénoncé les abus dans un long rapport en 2005, le juriste aveugle Chen Guangcheng a été condamné à plusieurs années de prison et a subi d’incessantes brimades, jusqu’à sa spectaculaire évasion à l’ambassade américaine, en 2012.
Mais l’assouplissement de la politique de l’enfant unique décrété en 2013, et la refonte de la Commission de planification familiale, la redoutable administration qui gère le con- trôle des naissances, commence à changer la donne. Les démographes, qui sonnent l’alerte sur les risques de vieillissement accéléré dans les années à venir, sont davantage écoutés, et les inspecteurs de grossesse sont incités à revoir leurs méthodes.
Comme le laisse penser un incident récent survenu à Linyi, la préfecture du sud de la province du Shandong, dans laquelle Chen Guangcheng avait justement rassemblé ses témoignages de victimes : la police y est intervenue pour libérer une femme de 39 ans séquestrée pendant presque six jours sur ordre des agents du planning familial, dans une auberge rurale, avec son nouveau-né de 10 mois.
Son mari n’était pas parvenu à ras- sembler les 140.000 yuans de l’amende exigée (20.000 euros). Il avait fini par se plaindre à la police qui, contre toute attente, avait délivré sa femme. Filmé par un reporter accompagnant les policiers, et largement diffusé par les médias chinois, le sauvetage de la paysanne confirme la petite révolution en cours : du temps de Chen Guangcheng, les victimes des agents du planning familial n’avaient aucun recours, et leur défenseur était traité comme un criminel.
A Rudong, le district des « super-vieux », l’agent de la planification familiale interrogé par le Nanfang Zhoumo, M. Sang, regrette d’avoir été si obéissant du temps de sa jeunesse – il n’a qu’un enfant – et se prend à envier les contrevenants qu’il pourchassait et qui ont payé une amende pour garder un enfant supplémentaire.
Affecté aux autorisations de second enfant, il réfléchit même à des dispositifs susceptibles d’encourager les couples à procréer, par exemple en leur proposant une prime, en remboursant les frais d’accouchement et en offrant l’accès à une crèche gratuite.
Car, désormais, nombre de familles à Rudong rechignent à mettre au monde un deuxième enfant : seuls 11,6 % des 28.000 couples qui, selon les nouvelles régulations, seraient libres de le faire (par exemple dont l’un des membres est un enfant unique) se disent prêts à sauter le pas.
A l’échelle de la Chine, un million de couples seulement se sont portés candidats à un second enfant sur onze millions de familles potentiellement concernées. Dans quelques décennies, c’est tout le pays qui pourrait ainsi devenir « super-vieux ».
Le Monde

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