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Elles s’appellent Aïcha, Hayat ou Imène. Elles ont partagé la vie des auteurs des attentats de janvier et d’autres membres de leur réseau. Qui sont ces femmes qu’une grille de lecture compatissante présente comme des victimes coupées du monde par un morceau de tissu ?  Retour sur le parcours de ces « combattantes de l’islam ».

[…] Entendues par la justice dans différentes affaires de terrorisme qui ont impliqué leurs conjoints, elles semblent tomber des nues à la lecture des exactions commises par leur moitié. Cette somme de procès-verbaux d’auditions et de témoignages, recueillis le plus souvent sous le sceau de l’anonymat, permet néanmoins de découvrir cette face cachée, au propre comme au figuré, de l’islam radical.

« Doit-on dire “femmes de djihadistes” ou “femmes djihadistes” ?, fait mine de s’interroger un juge d’instruction qui en a reçu plusieurs dans son cabinet. En audition, elles sont carrées, répondent aux questions. Parfois, on doit parlementer pour leur faire enlever le voile, mais il n’y a jamais de blocage. En revanche, en termes d’endoctrinement, elles sont souvent aussi embrigadées que leurs époux. » On ne naît pas femme de djihadiste, on le devient. […]

Izzana Kouachi déclare à propos de son soudain engagement religieux : « C’est quelque chose qui m’apaise. J’ai eu un passé difficile, et cette religion a répondu à toutes mes questions. »

SITE DE RENCONTRES HALAL

Ce qui a séduit Linda B. chez son homme, c’est d’abord le mauvais garçon. Antillais comme elle, il purge une peine de prison pour braquages et évasions à répétition. Quand il se convertit en détention, elle se documente, achète « des livres pour apprendre à connaître l’islam, pour les débutants ». « Je n’ai quasiment rien retenu, avoue-t-elle. Je n’ai pas réussi à apprendre une sourate du Coran. (…) Je me suis convertie par amour. [Il] aurait été d’une autre confession, il est probable que je me serais convertie à la même religion que lui. »

La prison est un creuset d’endoctrinement mais aussi de rencontres. Entre deux téléchargements de films de propagande djihadiste, un « longue peine » fait des avances à « Fleur d’islam » sur IndexNikâh, « un service matrimonial musulman ouvert à nos frères et sœurs en islam qui sont prêts pour le mariage », indique ce site de rencontres halal. « J’expliquais que je me trouvais actuellement incarcéré et que je cherchais une femme », décrira le détenu après qu’on eut découvert qu’il se connectait en toute impunité.

[…] Cathy B., une esthéticienne convertie qui se cache derrière un hijab et une longue frange. Elle croit avoir rencontré l’homme idéal à la centrale de Clairvaux (Aube). Un ami lui a parlé de ce détenu qui souhaite nouer une relation avec une musulmane. Âgée de 20 ans, Cathy multiplie les parloirs et les projets avec cet Antillais salafiste qui traite ses codétenus de kouffar (« mécréants »).[…]

« LE MARI IDÉAL »

Début 2010, Aïcha Belkacem obtient un titre de séjour provisoire pour rendre visite à son mari en détention. Cette Algérienne est mariée depuis vingt ans à l’auteur de l’attentat du RER C, que les conjoints de Linda et d’Hayat veulent faire évader. En France, Aïcha est hébergée par un couple d’islamistes radicaux, reçoit de l’argent « de gens qu’[elle] ne connaît pas ». Depuis sa cellule, son époux lui téléphone à 4 heures du matin, la réveillant pour la prière du Fajr, celle du lever du soleil. Sur les écoutes, ce vieux couple évoque les vaccins de leur enfant, se taquine, parle de leurs désirs, de leur sexualité.[…]

Qu’est-ce qui peut justifier l’attrait représenté par le djihadiste ? Dans le cadre de sa thèse ayant pour titre de travail « Les femmes musulmanes occidentales dans l’ombre du djihad », Géraldine Casutt dialogue avec certaines de ces femmes. « Après une vie compliquée avant l’islam, et notamment avec des hommes qui vous font souffrir, le djihadiste incarne le mari idéal. Celui qui est prêt à mourir en martyr pour sa religion est un homme droit, vertueux », résume l’universitaire suisse.

La relation avec un djihadiste aboutit vite à un mariage, pas toujours civil − l’autorité de l’État est contestée − mais forcément religieux. Il a lieu au domicile des parents du marié. Avec quelques particularismes. Ainsi, le 5 juillet 2009, Hayat Boumeddiene n’assiste pas à ses propres noces parce qu’« en islam, la femme n’est pas obligée d’être présente. En l’occurrence, là, c’est [son] père qui [l]’a représentée ».

Sur une écoute du 26 février 2010, un membre de la filière afghane raconte, hilare, les trois questions posées à sa promise lors de la muqabala (cérémonie d’avant mariage) : « Acceptes-tu la polygamie ? Aimes-tu Oussama Ben Laden ? Sais-tu faire à bouffer ? » Sa fiancée a répondu oui aux trois questions, le mariage a été prononcé. […]

A Pantin (Seine-Saint-Denis), les barbecues chez les Bouchnak sont régis par une règle simple : les femmes à l’intérieur, les hommes dehors. Ce qui n’est pas sans susciter un émoi certain chez les voisins à la vue d’une quinzaine d’hommes barbus autour des grillades, s’interrompant pour faire leur prière dans le jardin. Même en petit comité, même lorsque les épouses sont proches, on ne se mélange pas.[…]

Lors des séjours dans le Cantal, Hayat Boumeddiene n’aperçoit jamais le mentor de son conjoint, sauf une fois, de dos, lors d’une randonnée dans la forêt. Quand elle souhaite lui poser des questions théologiques, elle le fait à travers une cloison. « Pour moi, c’est logique que je ne me trouve jamais dans la même pièce qu’un homme », dit-elle aux policiers.

Izzana Kouachi témoigne − elle aussi sans trouver à y redire − de cette condition : « Ma religion ne me permet pas d’avoir d’amis hommes. Lorsque je suis au domicile des amis de mon mari, je fréquente soit la mère, soit la femme. » […]

Pour éviter toute rencontre proscrite, Linda B. a interdiction d’ouvrir la porte de son appartement. Ces femmes ne travaillent pas, ni même ne fréquentent de mosquée, la pratique de la religion se fait à domicile. « Je ne sors que pour faire les courses, confiera Hayat Boumeddiene aux policiers. Vous savez, je porte le voile intégral, donc ce n’est pas agréable de se promener avec le regard agressif des gens. C’est pour ça que je reste souvent chez moi. » […]

PROSÉLYTISME PAR TEXTO

Comme Kahina Benghalem, Hayat Boumeddiene est une adepte du prosélytisme par texto. Dans une syntaxe de son temps, la jeune femme envoie à une amie en perdition : « Cherche a satisfair Allah et lé gen seron satisfai de twa. Obei et craint Allah. Il ny a de force et de puissan ken ALLAH ». Elle dé- vore une littérature religieuse. « Pour l’instant, je suis encore débutante dans la religion, donc je me cantonne aux fondamentaux. Ensuite, je m’intéresserai aux différentes sectes et variantes. » […]

LADY MACBETH

[…] Au cours de son interrogatoire, Imène Belhoucine défie les policiers. Quand ils lui demandent ce que signifie « Oussama911 », le pseudo utilisé par son cyberdjihadiste de mari, elle répond : « Je sais que ses parents voulaient un moment l’appeler Oussama. Pour le chiffre 911, je ne vois pas… »

Il serait erroné de voir en ces femmes de simples victimes. Hayat Boumeddiene est décrite avec son conjoint, dans un réquisitoire du 26 juillet 2013, comme sujet d’« une radicalisation conjugale ». Aujourd’hui, les enquêteurs s’interrogent sur l’objet des 500 appels passés en 2014 à Izzana Kouachi alors que leurs époux préparaient les attentats. S’esquisse le portrait d’une Hayat Boumeddiene en Lady Macbeth terroriste qui aurait encouragé son conjoint à commettre ses crimes.

Dans sa bibliothèque numérique se trouvait, dès 2010, Les Soldats de lumière, un ouvrage signé Malika El-Aroud, veuve d’un des deux kamikazes qui ont assassiné le commandant Massoud le 9 septembre 2011, en prélude aux attentats du World Trade Center. Dans son livre, cette égérie du djihad glorifie le « martyre » de son mari, vante « le grand honneur » d’être la veuve d’un « moudjahid », « la dimension grandiose » du sacrifice de leur amour terrestre. Aujourd’hui, c’est au tour de sa lectrice, Hayat Boumed- diene, de camper le rôle de veuve noire.

« Les femmes de djihadistes partagent leur idéologie, la soutiennent, considère Farhad Khosrokhavar, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales. Elles n’ont pas subi de lavage de cerveau. Au contraire, il s’agit d’une nouvelle forme de féminisme. Elles veulent s’assumer comme les hommes, se constituer comme des combattantes de l’islam à part entière. Face à une société où elles n’ont plus de repères, elles compensent par une surenchère dans la radicalisation. »

D’après le parquet de Paris, dix femmes sont à l’heure actuelle mises en examen en France pour des actes de terrorisme liés à l’islam radical. « Elles rendent des services, servent de boîtes aux lettres, envoient de l’argent aux djihadistes », détaille le magistrat précité. Une centaine d’autres seraient en Syrie. Parmi elles, désormais, Imène Belhoucine, Kahina Benghalem et Hayat Boumeddiene. En Algérie, Aïcha Belkacem attend un nouveau titre de séjour pour venir voir son époux condamné à perpétuité. Linda B. a, elle, abandonné Allah et son salafiste antillais. A sa sortie de garde à vue après la tuerie de Charlie Hebdo, Izzana veuve Kouachi est rentrée chez elle.

La dernière de la bande illustre toute l’ambiguïté de ces femmes de djihadistes. Lors de sa déposition au printemps 2010, Sondes Bouchnak se démarquait très clairement de son mari : « Je ne savais pas que c’était un monstre, j’ai l’impression de ne pas le connaître. (…) Qu’est-ce que je vais dire à sa famille ? A la mienne ? Je vais quitter la France, je serai mieux dans mon pays, la Tunisie. » Cinq ans plus tard, Sondes Bouchnak a trouvé du travail et élève seule ses deux enfants. Dans l’attente que son mari sorte de prison.

Le Monde

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