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La baisse du prix du pétrole est un phénomène qui occupe désormais de nombreux esprits, qui interpelle les citoyens troublés par cette situation à priori paradoxale.

Pourtant, alors que la facture énergétique a dépassé le budget de l’éducation nationale en 2013, le pétrole n’apparaît même pas dans la loi nationale sur la transition énergétique. C’est dire le niveau d’ignorance ou de négligence dont politiciens et journalistes font preuve depuis des décennies.

Puisque les explications données sont souvent trop simplistes, les discussions de comptoir comblent les vides et les idées reçues deviennent la norme, y compris dans les plus hautes sphères. J’ai demandé sur un réseau social quelles étaient les questions principales sur ce sujet, afin de proposer dans cet article des éléments de réponse. Peut-être y trouverez-vous des précisions utiles.

1. Le pétrole n’est pas cher, c’est le début d’une ère d’abondance ?

La réalité est strictement opposée à cette idée. Le développement des pétroles de schistes américains, des sables bitumineux et du pétrole offshore de grande profondeur n’a été rendu possible que grâce à la forte hausse prolongée du prix du baril depuis 2009. L’effondrement des cours conduit à la baisse des investissements, à la faillite de certains producteurs -qu’il s’agisse d’entreprises privées ou de pays exportateurs- et à l’arrêt du développement des énergies alternatives qui passent sous le seuil de rentabilité. La production pétrolière et le développement des autres énergies vont donc ralentir.

Lorsque la demande va repartir grâce aux prix bas (s’il n’y a pas de problème géopolitique ou autre événement imprévisible), l’offre étant beaucoup plus lente à progresser que la demande, le monde risque de faire face à un nouveau choc de l’offre, comme en 2007-2008. La baisse des prix actuelle augure donc une pénurie future et non une ère d’abondance.

2. Pourrait-on profiter de la chute des cours du pétrole pour diminuer les subventions aux énergies fossiles ? Ou est-ce plutôt quand les cours sont élevés qu’il faudrait le faire ?

Selon un rapport récent, 775 milliards de dollars de subventions ont été versées dans le monde en 2012, en soutien à la production et la consommation d’énergies fossiles. Il faudrait évidemment que les Etats arrêtent de subventionner ces recherches pour tout mobiliser vers la transition énergétique, mais le meilleur moment pour le faire, c’était plutôt en période de prix élevés. Comme nous venons de le voir, l’effondrement des cours est dramatique pour les compagnies pétrolières qui perdent déjà beaucoup d’argent à cause de leurs recherches infructueuses.

L’exploration coûte de plus en plus cher et les découvertes ne sont pas au rendez-vous. Les bénéfices étaient beaucoup plus importants pour les compagnies pétrolières et celles-ci pouvaient réinvestir davantage, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

3. Le prix du pétrole baisse, le pic pétrolier est donc une farce ?

J’entends encore le chroniqueur de France Culture, Brice Couturier, se moquer gentiment de ces géologues à la retraite de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil and gaz) qui n’ont décidément rien compris.  Alors qu’ils disent depuis des années que la production va décliner, il n’en est rien et c’est tout l’inverse qui se passe: regardez, le prix a baissé de 50% alors qu’ils nous promettaient un baril à 200$ ! Les tenants de la croissance et des ressources illimitées, comme M. Couturier, se frottent les mains quand ils peuvent grappiller quelques chiffres pour entretenir une illusion dans laquelle ils se complaisent.

Que dit la théorie du pic pétrolier ? Elle suppose que pour le pétrole, dont le stock est limité à l’échelle de l’humanité, la production a commencé à zéro, puis elle atteint un maximum avant de redescendre vers le zéro. Cette théorie n’est pas une vue de l’esprit, c’est une simple règle mathématique. Il ne peut donc pas y avoir de bêtise dans la notion de pic pétrolier, car c’est une réalité définitivement incontournable.

Ce qui rend les choses plus complexes, c’est l’impact, au niveau mondial, de l’économie, de la géopolitique et des bulles spéculatives sur la production pétrolière. Il est désormais impossible de prévoir la forme exacte de la courbe (plateau ondulant puis déclin, déclin lent et ondulant, rupture brutale…) mais cela ne remet pas en cause le fait que la production globale ne pourra plus croitre massivement à l’échelle mondiale.

4. Concrètement, comment allons-nous nous rendre compte de la fin du pétrole ?

Ce n’est pas la fin du pétrole car il en reste beaucoup dans le sol. En revanche, nous sommes déjà confrontés à la fin du pétrole suffisamment abondant ET bon marché pour que l’économie mondiale puisse continuer à se développer comme elle l’a fait pendant les 60 dernières années. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder ce qui se passe au niveau des prix, des découvertes de gisements et de l’état de l’économie mondiale. Je vous invite à lire mon dernier article qui explique que nous sommes entrés dans un nouveau cycle de croissance/récession qui indique que la production pétrolière et l’économie plafonnent.

Ce n’est donc pas la fin du pétrole, mais la fin d’une ère qui a donné l’illusion d’un monde sans limites.

5. Qu’en est-il, en cette fin 2014, des stocks disponibles à des prix acceptables pour l’économie ?

D’après les travaux que j’ai menés pour le Parlement Européen, il reste environ 1500 milliards de barils dans les réserves probables (2P), c’est-à-dire avec une probabilité d’être exploitées supérieure à 50%. Ce chiffre est très imprécis car les incertitudes sont nombreuses et la seule chose qui soit certaine, c’est que les chiffres officiels sont faux car ils sont stratégiques ou politiques. Il faut donc décrypter en permanence les discours officiels pour avoir des estimations, malgré tout incertaines. Sur ces 1500 milliards de barils, le pétrole extra-lourd en représente 500 milliards, soit le tiers du pétrole exploitable, or on sait que c’est aujourd’hui l’un des pétroles les plus coûteux et les plus polluants du monde. Je rappelle ici que l’augmentation des réserves annoncée dans les médias est essentiellement constituée de gisements connus depuis très longtemps mais qui n’étaient pas considéré comme exploitables (notamment les sables bitumineux).

Dans les faits, on découvre chaque année 3 fois moins de pétrole que ce que l’on consomme. On peut penser que ces 1500 milliards sont potentiellement exploitables à un prix de vente de 100$ le baril, mais le problème ce n’est pas le stock mais bien la capacité de production. Celle-ci va fortement ralentir et les pollutions augmenter car ces hydrocarbures sont de plus en plus difficiles à exploiter. Quant à l’énergie nette qui restera vraiment disponible pour la société, alors là ce sera encore plus brutal.

6. Le Club de Rome (rapport Meadows) et même M.K. Hubbert (théoricien du pic pétrolier) avaient prédit que le déclin de la production de pétrole interviendrait avant les années 2000. On est en 2014 et on attend toujours ! Ces théories sont-elles inadaptées et fausses ?

Le très célèbre rapport Meadows “The limits to growth” et les prévisions de MK Hubbert ont été publiées au début des années 1970. En fait, le rapport Meadows a été publié en 1972. Lorsque l’on regarde l’évolution de la production pétrolière jusqu’en 1972 (voir graphique ci-après), on ne peut se douter qu’en 1973, un choc pétrolier viendra bouleverser le monde entier et ralentir durablement la croissance de la production pétrolière. En l’absence des différents chocs pétroliers, nous aurions en effet dépassé le pic depuis plusieurs années mais il était impossible pour les auteurs de modéliser de tels événements géopolitiques. Cela ne remet absolument pas en cause la notion de pic, cela reporte juste de quelques années le début du déclin.

Evolution de la production réelle de pétrole et courbe théorique de Hubbert. On observe un applanissement de la courbe à partir de 1973, qui repousse la date du pic pétrolier.

7. Avec le progrès technologique, on trouvera forcément des solutions ?

Aucun des progrès réalisé dans le domaine de l’énergie n’a vraiment permis de faire mieux que le pétrole à ses débuts. A l’époque, 1 baril investi permettait d’en récupérer une centaine. Aujourd’hui, on sait faire plein de choses techniquement, y compris faire du pétrole avec tout et n’importe quoi (charbon, bois, algues, paille, maïs, gaz, etc.), mais le rendement énergétique ne cesse de diminuer. Le taux de retour énergétique (ERoEI) diminue constamment et rien n’indique que cela pourrait changer.

Pour résumer, même si la technologie permet de diversifier les énergies, aucune ne permet de remplacer les énergies fossiles conventionnelles en termes d’usage, de prix, de qualité, de quantité et de rentabilité énergétique. Le passage à l’ère des renouvelables imposera une division par deux ou par trois de la consommation d’énergie par habitant des pays industrialisés, ce qui signifie un changement radical des modes de vie.

8. Les USA vont être autonomes en énergie, la France n’a qu’à faire pareil ?

Les Etats-Unis ne sont pas près d’être autonomes en pétrole. Ils consomment 19 Mb/j (Millions de barils par jour) et leur production atteint environ 10 Mb/j. Ils seront autonomes quand ils auront doublé leur production actuelle, scénario auquel personne ne peut croire. Certes, ils produisent autant que l’Arabie Saoudite et la Russie, mais leur niveau de consommation est tel qu’ils sont très loin d’être autonomes et encore plus loin d’être exportateurs nets ! De plus, rien ne garanti que ce “boom” soit durable et le Département Américain de l’Energie (EIA) table sur un pic de la production vers 2020.

Quant à l’idée de reproduire leur modèle, ce qui est possible dans les grandes plaines désertiques américaines ne le sera pas en France et dans la plupart des pays d’Europe. La densité de population est bien trop importante pour que cela soit techniquement faisable à grande échelle et socialement acceptable. Et puis le droit du sol n’est pas le même en France et aux USA.

Là-bas, les propriétaires du terrain sont également propriétaires du sous-sol, ce qui n’est pas le cas chez nous. Ici, un propriétaire subirait les nuisances du forage mais ne bénéficierait pas autant des retombées financières, ce qui rend les choses encore moins acceptables.

l’écart entre la consommation (ligne noire) et la production (ligne marron) pétrolière aux Etats-Unis diminue actuellement, mais les importations représenteront toujours 35 à 40% des besoins du pays.

9. Un conflit de plus pourrait-il créer un rationnement prématuré ?

Actuellement, la situation est vraiment inquiétante car c’est un jeu perdant-perdant qui pourrait mal tourner. La baisse des prix est provoquée par la production de pétrole américain. L’OPEP qui ne se sent pas responsable de la situation, refuse de baisser ses quotas car il n’y a pas unanimité en son sein. La baisse des prix est donc en train d’avoir des conséquences dramatiques pour la Russie, l’Iran, le Nigéria, le Vénézuela et tous les pays dont la rente pétrolière assure l’équilibre financier et social. Le seul avantage à court terme sera de relancer provisoirement l’économie des pays importateurs.

Il est évident que l’Europe, plus qu’aucune autre région du monde, risque de vivre des périodes de rationnement en cas de conflit armé. Notre région est la première importatrice mondiale de pétrole et un tiers de ce pétrole provient de la Russie. Même si le prix du pétrole baisse actuellement, le monde ne dispose pas pour autant de marges de manœuvre suffisantes pour contourner certains gros producteurs. Chaque pays de l’OCDE dispose de 3 mois de stocks pétroliers stratégiques pour répondre à l’urgence en cas de conflit. Au-delà de ce stock, c’est l’inconnue.

10. La transition, déjà engagée par certains, sera-t-elle accessible au plus grand nombre avant cette pénurie ?

Nous n’aurons pas le temps de tout changer avant de subir les impacts des chocs pétroliers. Nous avons déjà commencé à les subir en 2008 et cette instabilité sera désormais la norme. Les très nombreux mouvements citoyens qui naissent dans le monde entier sont autant de germes de sociétés nouvelles auxquelles il faudra se raccrocher lorsque le modèle actuel ne tiendra plus. Ils semblent bien marginaux car le système les ignore, mais lorsque les vrais problèmes vont arriver, ils seront comme des bouées de sauvetage.

L’urgence absolue, c’est d’informer. Il faut expliquer à tout le monde que nous n’avons pas un siècle de tranquillité avec le pétrole mais qu’avant 2020 nous devrons faire face à des perturbations majeures : énergie, climat, biodiversité, eau potable, ressources minérales, stérilité et érosion des terres arables, etc. Si nous ne faisons pas cette information essentielle, alors le peuple cherchera des boucs émissaires responsables de tous nos problèmes, à la manière de certains partis politiques ou groupuscules haineux et violents par essence.

Il faut expliquer, expliquer et expliquer encore que certains changements sont inéluctables, que nous avons bien profité, certains plus que d’autres, de cette abondance provisoire mais que désormais la fête est finie. Le parc d’attraction Pétroland ferme ses portes et il faut regagner la sortie. L’ébriété énergétique est terminée, il nous reste à développer l’ébriété sociale, l’abondance de lien, d’actions collectives et locales, d’innovation en sobriété heureuse. Une population unie face à l’adversité saura relever les défis, même si elle n’est pas totalement préparée matériellement.

Avenir sans pétrole

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