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Quand une société connaît le chômage de masse, « le droit des arbres, on s’en fout » — c’était l’opinion d’une jeune journaliste des Inrocks à la fin des années 1990. Quinze ans plus tard, Jade Lindgaard (1) parcourt le monde pour recenser les modes de vie alternatifs, les dégâts de l’industrie ou du nucléaire. Elle s’exprime en son nom propre, pour « désapprendre » et « se déprivatiser », comme cherchent à le faire des habitants de Nancy qui rénovent ensemble leurs logements.

Maison où Henry David Thoreau écrivit son livre : “Walden ou La vie dans les bois”.

Le premier pas est difficile. Le second peut sembler dérisoire, tant le chemin est long. Lindgaard prend le pari que la valeur d’usage supplantera la valeur d’échange, que l’abondance tuera la propriété : « L’assurance de l’accessibilité quand l’usage se fait sentir prendra le dessus sur le besoin de possession », affirmait l’essayiste et militant écologiste libertaire Murray Bookchin. Optimiste souvent, drôlement découragée parfois devant toutes ses poubelles ou son lombricomposteur, elle ne peut que constater la force des habitudes : « Le décalage entre l’information reçue et le comportement adopté est patent. »

Eric Dupin (2) a vu le bon côté de l’écologie radicale au fil de l’enquête qui, pendant près de deux ans, lui a fait faire un tour de France des « circuits courts », des habitats groupés ou des écoles alternatives. En douze chapitres, il explore les contours de cette constellation de défricheurs qui tranquillement changent leur vie. Si aujourd’hui de nombreux projets d’habitat groupé naissent en ville, ils étaient déjà profondément inscrits au cœur d’un mouvement plus ancien où l’on retrouve les yourtes de Bussière-Boffy ou les écovillages des Hautes-Alpes.

Habiter le monde en maîtrisant son empreinte écologique pose des questions nouvelles, et implique des réponses nouvelles. En Italie, l’écovillage de Torri Superiore (3) pratique ainsi l’économie du don. De même, travailler selon d’autres valeurs que celles de l’économie capitaliste représente un défi redoutable : les exemples des pionniers Ambiance Bois (Creuse) ou Ardelaine (Ardèche) sont éclairants. En fin de compte, cet essai interroge le lien entre ce réseau d’expériences et le changement social.

C’est précisément à cette interrogation que répond à sa façon un hors-série du magazine Fluide glacial (4), connu pour son mauvais esprit : « Vers un monde vert » dynamite de manière bougrement efficace le capitalisme vert dans les détournements de Pascal Fioretto et Renaldi.

Selon l’écrivain François Meyronnis, auteur de l’ouvrage De l’extermination considérée comme un des beaux-arts (Gallimard, Paris, 2007), cocréateur de la revue Ligne de risque avec Yannick Haenel, nous sommes « tous coffrés dans l’invivable ». Ce n’est que « quand tout sera perdu » que « tout sera sauvé » (5). Les partisans de la décroissance, qui militent pour une société d’abondance frugale, pas plus que les transhumanistes, souhaitant migrer vers d’autres étoiles, ne le séduisent. Lui préfère miser sur l’effondrement généralisé, la fameuse « destruction créatrice » théorisée par l’économiste Joseph Schumpeter dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, paru en 1942.

Le sociologue Razmig Keucheyan (6) rappelle qu’il ne peut y avoir de « consensus environnemental », et que les inégalités sociales et écologiques sont liées. Mieux : ce sont encore les pauvres qui pâtissent des nouveaux rapports sociaux imposés par le capitalisme vert. Keucheyan analyse la géostratégie du climat et le remplacement de la guerre froide par des « guerres vertes » : à l’œuvre, le libéralisme ne cesse de détruire de l’ancien pour se régénérer…

On peut bien sûr choisir la vie dans les bois, chère à Henry David Thoreau, désormais à la mode pour avoir prôné la désobéissance civile. Mais, plutôt que l’austérité sylvestre, pourrait être préférée l’abondance du Gargantua de François Rabelais, qui offrait ce rêve dans un monde sans plastique ni nucléaire : « Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. »

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Notes :

(1) Jade Lindgaard, Je crise climatique. La planète, ma chaudière et moi, La Découverte, Paris, 225 pages, 2014, 18 euros.

(2) Eric Dupin, Les Défricheurs, La Découverte, 2014, 260 pages, 19,50 euros.

(3) Lire Geraldina Colotti, « En Italie, une autre économie », Le Monde diplomatique, octobre 2012.

(4) Fluide glacial série or, no 68, « Vers un monde vert », Paris, septembre 2014, 100 pages, 5,90 euros.

(5) François Meyronnis, Proclamation sur la vraie crise mondiale, Les Liens qui libèrent, Paris, 2014, 108 pages, 12 euros.

(6) Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille. Essai d’économie politique, Zones, Paris, 2014, 176 pages, 16 euros.

Le Monde Diplomatique

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