Fdesouche

Dès l’âge de 17 ans, Vitalik Buterin, Canadien né en Russie et habitant à Toronto, s’est passionné pour le bitcoin, la principale monnaie électronique circulant sur Internet : « J’ai commencé des études d’informatique, mais au bout d’un an j’ai abandonné la fac pour me consacrer entièrement au bitcoin. Pas question pour moi de rater cette aventure. » Il participe même à un projet de création d’un système de transactions en bitcoins anonymes et intraçables.

Pourtant, il en arrive rapidement à la conclusion que le système est imparfait, et limité. A la fin de 2013, à l’âge de 19 ans, il décide d’inventer sa propre monnaie électronique, qui sera fondée sur des algorithmes encore plus sophistiqués. Il la baptise « ether » — du nom de cette entité invisible et impalpable censée englober tout l’univers.

Pour donner vie à son projet, il monte une start-up, Ethereum. Côté financement, il obtient d’abord une bourse de la Fondation Thiel (Californie) réservée aux jeunes chercheurs indépendants : 100.000 dollars sur deux ans, plus un réseau de contacts dans la Silicon Valley. Mais il compte surtout sur ses propres forces.

En juillet 2014, il commence à prévendre des futurs ethers contre des bitcoins : « J’ai découvert que des tas de gens croyaient en mon projet. Au début, nous avions fixé un cours de 2.000 ethers pour 1 bitcoin, mais très vite la demande s’est renforcée, le cours est monté à 1.300. » En six semaines, ce financement participatif inédit lui rapporte 31.591 bitcoins, soit plus de 18,4 millions de dollars.
Satisfait, il cesse ses préventes, en attendant le lancement officiel de l’ether. Il convertit une partie de ses gains en dollars pour couvrir certaines dépenses, mais conserve le reste en bitcoins : « Plusieurs fournisseurs, et la plupart de mes employés, acceptent d’être payés en bitcoins. Quelques-uns sont même d’accord pour recevoir des ethers. »

Une monnaie à « miner »

Son système sera programmé pour produire au maximum 15 millions d’ethers par an. Comme pour le bitcoin, Vitalik compte sur l’arrivée de « mineurs », qui résoudront des problèmes mathématiques afin de valider toutes les transactions, et seront récompensés en ethers.

C’est le principe de fonctionnement de la quasi-totalité des cryptomonnaies, qui peuvent être minées par les utilisateurs grâce à la puissance de calcul de l’ordinateur. Plus le temps passe, et plus le minage nécessite du temps et de la puissance de calcul — il faut aujourd’hui des centaines de machines coûteuses pour miner des bitcoins.

« Ce sera plus simple que pour le bitcoin, assure Vitalik Buterin. Pas besoin de gros ordinateurs coûteux, on pourra miner chez soi, sur un PC ordinaire. » De même, le registre central des transactions (blockchain) sera plus léger, donc plus facile à charger et à mettre à jour : « Sur la blockchain du bitcoin, chaque transaction pèse 50 octets. Aujourd’hui, elle est déjà extrêmement lourde, et ça va empirer. Sur Ethereum, chaque portefeuille pèse 100 octets, quel que soit le nombre de transactions. »

Par ailleurs, l’ether ne sera pas un simple clone du bitcoin comme il en existe déjà : « Le bitcoin est d’abord une monnaie, rappelle Vitalik Buterin, ses autres fonctions sont secondaires. En revanche, la blockchain d’Ethereum pourra accueillir des programmes informatiques très divers, qui tourneront de façon décentralisée, et complètement transparentes, puisque toutes les opérations seront consignées, et librement consultables. »

Il imagine par exemple un système de financement participatif automatisé résidant simultanément dans les ordinateurs de tous les participants : « Les services actuels de financement participatif semblent innovants, mais en fait ils fonctionnent de façon très classique, avec un serveur central, des employés, des frais de fonctionnement, etc. En un sens, ils sont déjà caducs. »

Modèles décentralisés

Cette remarque vaut pour tous les sites d’économie du partage — comme le covoiturage ou la location de logement entre particuliers : « Nos utilisateurs inventeront des usages inédits, qui supprimeront des tas d’intermédiaires. De nombreuses entreprises du Net devront réinventer leur modèle économique » — y compris, selon lui, des sociétés récentes comme Airbnb.

Ethereum pourrait même devenir un concurrent des grands centres de stockage : les utilisateurs disposant d’une capacité de mémoire inutilisée hébergeront des fichiers en pair à pair, et, grâce à Ethereum, ils pourront se faire payer quelques centimes par jour.

A terme, Vitalik Buterin veut faire d’Ethereum la « colonne vertébrale » d’une multitude de « cyberentreprises autonomes décentralisées » nécessitant très peu de maintenance et de main-d’œuvre : « Les règles de fonctionnement d’une société commerciale, depuis les apports en capital des actionnaires jusqu’au planning du personnel, pourront être transcrites en algorithmes et incluses dans la blockchain. Tout sera géré et enregistré de façon automatique, fiable et transparente. »

Il reprend ainsi à son compte le concept de « contrat intelligent » — un protocole destiné à faciliter les négociations entre partenaires, puis à vérifier ou à appliquer automatiquement les décisions prises.

Au-delà de l’entreprise, le registre central des transactions d’Ethereum pourrait proposer un mode de gouvernance décentralisée et transparente pour des associations de taille moyenne. Vitalik Buterin envisage notamment des systèmes de vote électronique vérifiables par tous.

Déjà des start-up proposant des produits financiers, des services de noms de domaine, de stockage de fichiers et de votes en ligne ont contacté Ethereum. Bien sûr, Vitalik Buterin reconnaît que son système ne pourra pas gérer des programmes trop lourds : « On ne va pas faire tourner Google sur Ethereum — enfin, pas tout de suite… »

A l’automne 2014 sa société comptait une quinzaine d’employés, dont quelques-uns en Europe. Vitalik Buterin espère ouvrir bientôt un bureau à San Francisco et un autre à Berlin. Le lancement public de l’ether est prévu pour le début de 2015.

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux