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Jardins partagés, énergies propres… la révolution verte est en marche. Des initiatives surtout citoyennes. Pour Alain Grandjean, économiste, l’or noir se fait rare, pas les idées.

Saviez-vous que huit cents millions de personnes pratiquent l’agriculture urbaine et produisent 15 à 20 % de l’alimentation mondiale ? Qu’en 2011, en Italie, les ventes de bicyclettes neuves ont dépassé celles des voitures neuves pour la première fois depuis quarante ans ? Et qu’en Allemagne, 51 % de l’énergie renouvelable est fournie par les citadins et les agriculteurs ? Autant de signes, avance Rob Hopkins dans un livre formidable à paraître le 16 octobre 2014, que la « transition » écologique et sociale est en marche.

Ce Britannique est à l’origine du mouvement des Villes en transition, démarré à Totnes. En 2006, dans cette petite ville du sud-ouest de l’Angleterre, les habitants se sont mis à inventer leur vie sans pétrole : jardins partagés, arbres fruitiers dans les lieux publics, énergies propres, relocalisation de l’économie via une monnaie complémentaire… Aujour­d’hui, Villes en transition est implanté dans quarante-quatre pays. Et le terme de « transition » s’est répandu de ­façon virale, pour englober une myriade d’initiatives à travers le monde.

« La transition, écrit Rob Hopkins, c’est comme un logiciel libre. Chacun se l’approprie, l’essaie là où il vit et contribue à son évolution permanente. »

Un peu à la manière d’un vaste réseau fait de milliers de laboratoires de recherche et développement, où chacun expérimente et innove, nous dit un « transitionneur » de la première heure, l’économiste Alain Grandjean, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot. Visite guidée des mille et une facettes de la transition en marche, en compagnie de celui qui vient de présider le comité des experts du débat national sur la transition énergétique.

Qu’est-ce que la « transition écologique » ?

C’est un chemin qui nous mène d’une économie « minière », vorace en ressources supposées infinies et productrice de déchets en quantité, à un système bien plus sobre, capable de satisfaire le plus grand nombre sans épuiser les écosystèmes.

La transition concerne donc tous les aspects de notre vie et implique de revoir notre organisation sociale et économique issue de cette croyance folle selon laquelle le monde serait infini. Pensez qu’à la fin du XIXe siècle, les gens s’imaginaient que la mer était une ressource inépuisable et que, plus on pêchait de poissons, plus ils se reproduisaient…

La transition a-t-elle déjà commencé ?

Elle est à l’œuvre un peu partout dans le monde : c’est une transition « par en bas », qui soutient l’idée que des individus, des villages, des villes peuvent répondre à leurs besoins fondamentaux localement, en réduisant leur dépendance aux énergies fossiles et leurs émissions de carbone. Mais c’est aussi une réponse au fait que les politiques nationales ne s’y sont pas encore mises : elles soutiennent encore massivement les combustibles fossiles plutôt que les énergies renouvelables.

Ceux qui s’engagent dans les Villes en transition n’attendent pas l’aval de Jean-Claude Juncker ou de François Hollande. Ils se lancent, à leur échelle, portés par le bouillonnement du génie collectif.

C’est-à-dire ?

L’appel à la créativité du groupe, la création d’une dynamique positive et la reprise en main d’un avenir commun désirable ! A Seattle, aux Etats-Unis, les citoyens ont obtenu deux évolutions intéressantes : une modification du droit de l’urbanisme qui permet à chacun de produire dans son jardin et de vendre une partie de sa production ; et la création d’une forêt-jardin collective produisant fruits, légumes, bois… Cette nouvelle agriculture urbaine offre une réponse à la concentration des exploitations – en France, en 1945, il y avait six millions d’exploitations agricoles, il en reste cinq cent mille.

Et elle « verdit » la ville, non pas pour faire plaisir aux écolos, mais parce que le citoyen urbain n’en peut plus de vivre dans un univers minéralisé ! C’est aussi une question de génération. Mes parents, qui ont traversé la guerre et la reconstruction, ne se préoccupaient pas de savoir si on vivait bien ou non en ville.

Mais, aujourd’hui, notre rapport à la ville comme à la voiture est en train de basculer. Aux Etats-Unis, la proportion des titulaires du permis de conduire parmi les 16-20 ans a chuté de près de 30 % entre 1998 et 2008.

On reproche souvent aux écologistes d’être catastrophistes. La transition, elle, se veut optimiste et pratique…

Le diagnostic n’a hélas pas changé du tout : le changement climatique est sans équivoque ; la crise énergétique, bien réelle, et nous sommes entrés dans une époque d’extinction massive des espèces, d’effondrement de la bio­diversité et de perturbations majeures des écosystèmes. Mais nous pouvons aborder ces réalités sous l’angle du défi constructif. La crise que nous traversons est la face émergée du processus de transformation en cours : une formidable opportunité d’être créatif et collaboratif. Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre de ces initiatives est colossal.

Peut-on les chiffrer ?

L’extrême diversité de ces expériences, leur interdisciplinarité rendent la tâche difficile. Comment répertorier des réalisations qui portent à la fois sur l’agriculture, la production d’énergie, la rénovation énergétique des logements, l’économie circulaire, les monnaies locales, la mobilité, l’éducation… ? Et qui engagent toutes sortes de citoyens, de collectivités locales et d’entreprises ? Nous sommes face à un territoire d’innovation, très mouvant : de nouveaux acteurs économiques arrivent sans arrêt, et beaucoup vont se casser la figure. Le secteur de la rénovation énergétique, par exemple, voit fleurir des start-up spécialisées dans le pilotage du chauffage – maison « intelligente », en réseau, etc. Ce n’est pas pour rien que Google a récemment acheté pour 3,2 milliards de dollars une start-up californienne qui fabrique des thermostats intelligents…

La transition serait pour bientôt ?

Elle est en tout cas à notre portée. Construire des logements moins énergivores est déjà une réalité. Tout comme rénover des bâtiments de manière à réduire leur facture énergétique par trois ou quatre (même si cela coûte encore cher). Idem pour la mobilité, autre enjeu essentiel : nous savons déjà fabriquer des voitures légères, consommant 1 à 2 litres pour 100 kilomètres (par rapport aux 7, 8 litres actuels). Le taux de renouvellement du parc de véhicules oscille entre dix et quinze ans : en deux changements, en trente ans donc, nous pouvons en diviser par quatre la consommation moyenne ! Même observation pour l’agriculture, où le bio monte en puissance, parallèlement aux modèles conventionnels.

Sans volonté politique, ces initiatives pourront-elles s’étendre ?

L’expérimental peut-il devenir dominant ? L’énergie solaire, aujourd’hui marginale, sera-t-elle notre source d’énergie principale ? Impossible à dire à l’avance, et c’est ce qui rend l’innovation si passionnante à observer. Voyez les premiers modèles d’avions, au XIXe siècle. C’est fourmillant d’inventivité, de pistes variées ! Nous vivons la même chose, sauf que l’innovation n’est pas que technique mais aussi sociale, économique. Et on ne sait pas ce qui va l’emporter. Dans le Nord de la France, dans un univers économiquement sinistré, vous avez, distantes de quelques kilomètres, Hénin-Beaumont et Loos-en-Gohelle. Soit, dans le premier cas, une petite ville qui se replie sur elle-même et se radicalise et, dans l’autre, un formidable projet de transition écologique et sociale.

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Notes :

A lire

Miser (vraiment) sur la transition écologique, d’Alain Grandjean et Hélène Le Teno, Les Editions de l’atelier, 2014, 17 €.
1001 Initiatives de transition écologique. Comment l’action locale peut changer le monde, de Rob Hopkins, éd. du Seuil (à paraître le 16 octobre 2014).
Les Défricheurs. Voyage dans la France qui innove vraiment, d’Eric Dupin, éd. La Découverte (à paraître le 11 septembre 2014).

A voir

Le site de la transition, qui rassemble nombre de projets.

Le site du mouvement Colibris qui répertorie une variété d’expériences en France.

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