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13/09/2014


*DROM = Département et région d’outre-mer

(Merci à Blueberry)

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[extraits][l’article source comprend plusieurs infographies, non reproduites ici]
 C’est la « preuve » de « l’invasion » des immigrés, brandie par l’extrême droite dans un nombre croissant de discours. On la retrouve citée sur des sites, des blogs, d’innombrables commentaires ou messages sur les réseaux sociaux : le dépistage de la drépanocytose, une maladie génétique qui touche particulièrement certaines populations issues de l’Outre-Mer, d’Afrique ou du Maghreb, est instrumentalisé par certains militants extrémistes.
(…) Depuis plus d’une décennie, la drépanocytose fait l’objet d’un dépistage chez les nouveaux-nés français. Mais la maladie se rencontrant plus fréquemment chez les populations originaires d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, des Antilles, d’Inde ou du sud de l’Europe (Grèce et Italie), ce sont les nourrissons issus de familles originaires de ces zones qui sont testés.

Il existe toute une série de statistiques détaillées, notamment sur le nombre de nouveaux-nés testés par département français. En l’absence de statistiques ethniques, les militants d’extrême droite se sont donc emparés de ces chiffres pour alimenter leur thèse centrale : le « grand remplacement » des populations « allogènes » par celles issues de l’immigration.

Les militants identitaires publient donc régulièrement des cartes supposées montrer, avec les dépistages de nouveaux-nés à cette maladie, l’ampleur du « grand remplacement ». Mais, comme bien souvent, tout ceci est erroné.
1. Un dépistage médical n’est pas un recensement ethnique
Pour des raisons essentiellement économiques, en France, la maladie n’est pas détectée systématiquement, mais uniquement auprès des populations à risque. Pour être précis, la Haute Autorité de santé explique que :
« Ce dépistage néonatal est institué depuis 2000 sur l’ensemble du territoire et réalisé en métropole de manière ciblée sur la population des nouveau-nés issus de parents originaires de populations à risque. » La maladie n’a donc pas de facteurs « ethniques », mais bien géographiques.
Les régions « à risques » sont : Antilles, Guyane, la Réunion, Mayotte. Tous les pays d’Afrique subsaharienne et le Cap-Vert. Amérique du Sud (Brésil), Noirs d’Amérique du Nord. Inde, océan Indien, Madagascar, île Maurice, Comores. Afrique du Nord : Algérie, Tunisie, Maroc. Italie du Sud, Sicile, Grèce, Turquie. Moyen-Orient : Liban, Syrie, Arabie saoudite, Yémen, Oman
(…) Pour qu’un nourisson soit testé, il faut, selon l’InVS, que:
– Soit les deux parents proviennent d’une région à risque,
– Soit qu’un seul des deux en proviennent si on ne connaît pas le second,
– Soit qu’il existe des antécédents de syndrome drépanocytaire majeur dans la famille,
– Soit qu’il existe un doute sur les trois critères précédents.

« Dans la pratique, explique Valérie Gauthereau, directrice de la fédération parisienne de dépistage, on essaye dans les maternités de cibler les personnes d’origine maghrébine ou africaine. »

Un ciblage qui se fait sur des critères assez informels : faciès des parents, nom de famille… mais qui peut avoir des ratés. C’est d’ailleurs pourquoi, en Ile-de-France par exemple, « certaines maternités ciblent 100 % de la population, pour être certaines de ne pas rater un cas », précise encore Mme Gauthereau.
Les associations de malades, mais également certains médecins, dénoncent aujourd’hui ce dépistage ciblé, avec un argument qui va à l’encontre de la thèse « identitaire » : la maladie n’est plus aujourd’hui l’apanage de certaines ethnies, mais s’est « mondialisée » : au fil des ans et des métissages, les gènes se sont disséminés.
2. Les Ultramarins ne sont pas « issus de l’immigration »
Selon les données de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant, 309 858 nouveau-nés ont été dépistés pour la drépanocytose soit 37,7 % des nourrissons.

Faut-il en conclure, comme le font les militants identitaires, que 37 % des nourrissons sont « d’origine étrangère » ? Non. Ou alors il faut s’entendre sur ce qu’on appelle « étranger ».

Premier point : le cas des communautés françaises d’outre-mer. Peut-on dire qu’Antillais, Réunionnais ou Guadeloupéens sont « d’origine étrangère » ? Non. Ils peuvent être français depuis des générations ou des siècles.

La seule grille de lecture appliquée par les militants d’extrême droite est donc ici ethnique.

Et encore font-ils ici un premier contresens : qu’ils soient blancs ou noirs, tous les enfants nés en outre-mer sont testés, car c’est la zone géographique, et non l’ethnie, qui induit un risque.
3. La grande manipulation des chiffres
Mais la manipulation ne s’arrête pas là : la médecine n’est pas un service d’immigration. Et lorsqu’on parle de « populations originaires » d’une zone géographique à risque, on ne regarde pas la carte d’identité des individus.
On teste donc des populations dont l’origine « étrangère » est parfois lointaine : deux, trois, quatre générations, voire plus. Des familles originaires des Antilles, françaises depuis une dizaine de générations, seront ainsi testées, quand un couple d’étrangers venus d’Europe de l’Est ne le sera pas.

Le taux de nourissons testés à la naissance ne peut donc pas être un indicateur de « l’immigration », comme il est présenté par les militants d’extrême droite. Au mieux, il peut indiquer la part de « métissage » dans des zones géographiques données.

Et là encore, on peut relativiser : on teste aussi pour la drépanocytose les personnes originaires d’Italie du Sud ou de Grèce, toujours sur ces mêmes critères flous du nom de famille ou de l’apparence des parents. Et avec une pratique qui va plutôt dans le sens de tester dès lors qu’il y a un doute.
4. Environ 20 % de naissances « non françaises »

Si on veut évoquer des chiffres de naissances issues de l’immigration, les statistiques existent (…)
5. Un racisme qui ne s’assume pas
Selon l’Ined, on peut estimer qu’à l’heure actuelle environ un quart des Français sont issus de l’immigration, au sens où ils ont au moins un grand-parent immigré. Au cours du XXe siècle, la France a connu des vagues migratoires successives : Belges, Polonais, Russes, Italiens, Espagnols, Portugais, Maghrébins… Parler de « population allogène » n’a donc pas grand sens : si l’on remonte sur plusieurs générations, on finit généralement par trouver des ascendants étrangers.

« La France est certes un vieux pays d’immigration mais il y a déjà vingt-cinq ans qu’elle n’est plus un pays d’immigration massive. Elle est devenue au contraire le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins de l’immigration », écrivait l’institut dans une étude de 2004. Ce que confirment les chiffres de l’Insee.

Restent donc des populations issues de l’immigration, mais françaises de naissance, même si leur couleur de peau n’est pas aussi blanche que le souhaiteraient certains militants.

L’hystérie entretenue par l’extrême droite autour de la drépanocytose ne fait en effet que masquer le racisme des tenants de ces théories (…) En réalité, ce que cherchent à évoquer les militants identaires ici, c’est bien la question de l’ethnie. Ce qui les préoccupe, ce sont les naissances non « blanches », qu’elles soient issues de personnes de nationalité française ou non, et que ces personnes soient intégrées ou non.

Le cas des Antillais est ici emblématique : ces populations peuvent être « plus françaises » que des militants d’extrême droite issus, à la troisième ou à la quatrième génération, de l’immigration italienne, polonaise ou autre ; ils seront tout de même comptabilisés dans leur cartographie du « grand remplacement ».
Signe s’il en est qu’il ne s’agit pas ici de parler d’intégration ou de flux migratoires, mais bien de « races ».
Le Monde
 

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