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Pour la première fois, une étude britannique établit un lien statistique entre l’utilisation de ces pesticides et le déclin des populations d’oiseaux des champs.

Perturbez un échelon de la chaîne alimentaire, et c’est tout un écosystème qui est ébranlé.

Des travaux publiés au­jourd’hui dans Nature montrent, chiffres à l’appui, qu’un insecticide agricole a réduit certaines populations d’oiseaux aux Pays-Bas. Ils portent une nouvelle accusation contre l’imidaclopride, une molécule de la famille des néonicotinoïdes dont l’usage a été en partie restreint dans l’Union européenne, en raison du risque qu’elle fait courir aux populations d’abeilles et de bourdons.

«Ces travaux sont d’autant plus importants qu’ils ont été conduits à l’échelle d’un pays entier et sur quinze espèces d’oiseaux, analyse Jean-Marc Bonmatin, du Centre de biophysique moléculaire d’Orléans (France). Ils établissent un lien statistique direct entre la concentration de pesticides dans les eaux de surface et la démographie des oiseaux. Un lien indiscutable, tant les données et la méthode de mes collègues néerlandais sont fiables.»

Dans les régions néerlandaises où la concentration des eaux de surface (cours d’eau, lacs, étangs et mares) dépasse 20 nanogrammes – milliardièmes de gramme – d’imidaclopride par litre, la population d’oiseaux insectivores baisse de 3,5% par an! Une moyenne obtenue sur les quinze espèces communes suivies (hirondelles, étourneaux, moineaux, alouettes, pipits, grives, etc.)

Ce seuil de 20 ng/l qui ressort des travaux du groupe conduit par Hans de Kroon (Université Radboud à Nimègue, Pays-Bas) est particulièrement faible. «On relève des concentrations parfois mille fois plus élevées dans certaines eaux de surface, insiste Jean-Marc Bonmatin. Ce seuil de 20 ng/l est fréquemment dépassé dans les régions agricoles, et même en dehors car ces molécules sont lessivées par les pluies et se diffusent largement dans l’environnement.» Aux Pays-Bas, des taux de 100 ng/l sont couramment observés, et certaines régions dépassent les 1000 ng/l, montre une carte publiée dans Nature.

«Nous avons été les premiers surpris de nos résultats, expliquent Hans de Kroon et son collègue Ruud Foppen, du Centre néerlandais pour l’ornithologie de terrain de Nimègue. Notre étude portait principalement sur l’impact des modifications de l’usage des terres.» Celle-ci s’appuie sur le dispositif d’observation ornithologique néerlandais, auquel participent dix mille volontaires depuis des décennies, et sur le réseau néerlandais de suivi des eaux de surface, «l’un des plus denses au monde», souligne Ruud Foppen. Son groupe ne s’attendait pas à voir surgir les pesticides parmi les facteurs qui pèsent sur la démographie des oiseaux : les zones de culture de plantes à bulbe (tulipes, etc.), les serres, la teneur des sols en azote, l’urbanisation des terrains, les cultures de céréales, etc.

«Nous pensions qu’un éventuel effet de l’insecticide serait masqué. Nous avons donc réétudié nos résultats pendant plus de six mois, mais c’est bien l’imidaclopride qui explique les observations de terrain», raconte Ruud Foppen. Une accusation d’autant plus solide que ce déclin des oiseaux n’est observé que depuis le milieu des années 1990, quand l’imidaclopride a été introduit aux Pays-Bas.

Pour expliquer cet impact sur les oiseaux, les chercheurs penchent pour un effet en cascade. «La molécule cible les invertébrés; il est peu probable que les oiseaux soient directement affectés, même si on ne peut exclure un impact sur leur reproduction, explique Hans de Kroon. Il s’agit plus vraisemblablement d’un effet induit: en réduisant les populations d’insectes, l’imidaclopride prive les oiseaux de nourriture.»

Cette molécule est le premier néonicotinoïde introduit sur le marché mondial, au début des années 1990. Comme le fipronil, une molécule similaire, ces néonicotinoïdes ont une action «systémique»: ils diffusent dans toute la plante: racines, tiges et feuilles. «On peut les utiliser de nombreuses manières, en enrobant les semences, en aspergeant les plantes, en in­jectant la molécule dans les troncs, etc.», poursuit Hans de Kroon.

Cette souplesse d’utilisation, doublée d’une efficacité très élevée avec des quantités réduites, en fait le produit préféré des agriculteurs: les néonicotinoïdes représenteraient aujourd’hui entre 30 et 40% de la consommation mondiale d’insecticides.

Mais ces substances sont pointées du doigt par les apiculteurs, de très nombreux scientifiques, ainsi que des agriculteurs inquiets de leur effet sur la pollinisation, indispensable à de nombreuses cultures, notamment fruitières. Le fipronil, la molécule active du Régent, pesticide produit par l’allemand Bayer, est suspendu en France depuis 2004, en raison de soupçons quant à son impact sur les abeilles.

En décembre dernier, l’UE et la Suisse ont restreint l’usage de trois néonicotinoïdes – dont l’imidaclopride – pour tenter de stopper l’hécatombe qui frappe ruches et essaims. «L’imidaclopride est 10 000 fois plus toxique pour les abeilles que le DDT», insiste Jean-Marc Bonmatin, qui cosigne l’Evaluation mondiale intégrée (WIA), un gigantesque travail d’analyse qui porte sur 800 publications scientifiques sur les néonicotinoïdes et sur une autre molécule répandue, le fipronil. La publication du WIA a commencé, le 24 juin, dans la revue Environmental Science and Pollution Research, et s’étalera sur plusieurs mois. «L’immense majorité des travaux vont dans le même sens: un impact important sur l’ensemble des écosystèmes, à commencer par les invertébrés, mais aussi les vertébrés. Et de nouvelles études sortent presque chaque semaine», rappelle Jean-Marc Bonmatin. Mercredi, c’est une recherche menée par un groupe anglais et publiée dans Functional Ecology qui montrait que les bourdons changent de comportement et rapportent moins de pollen dans la ruche quand ils sont exposés à de faibles quantités d’imidaclopride.

L’apparition des néonicotinoïdes a décuplé l’usage préventif des insecticides agricoles. «Une semence enrobée agit dans la plante jusqu’à la récolte, souligne Jean-Marc Bonmatin. Pourtant, ces molécules hautement toxiques devraient être utilisées en dernier ressort. Il existe de nombreuses manières de procéder autrement. Il y a le bio, bien sûr, ou la rotation des cultures d’une année sur l’autre.»

Le chercheur, qui se défend d’être un adversaire des pesticides, préconise aussi la Gestion intégrée des ravageurs (IPM). «On place des pièges dans le champ, pour contrôler la présence des insectes. De cette ­manière, on ne traite qu’en cas de signe d’invasion imminente. Au­jour­d’hui, seuls 10% des pesticides employés dans l’agriculture sont utiles. Si on baissait de 90% leur usage, les oiseaux n’auraient plus de problèmes.» Bayer, producteur du Régent, a fait savoir dans la soirée qu’il réfutait les arguments présentés dans Nature.

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