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Cinderella anime des classes d’histoire-géo à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. Succession de portes-blindées, belles rencontres mais aussi échanges houleux : elle revient sur une expérience qui l’a confrontée à ses préjugés. […]

Je me suis engagée au Génépi en novembre 2013. L’association regroupe des étudiants de toute la France, qui interviennent bénévolement dans les prisons. Un après-midi par semaine, j’anime un atelier « connaissances du monde » – et non un cours d’histoire-géo, les génépistes n’ont pas vocation à remplacer les professeurs de prison – pour une dizaine de détenus. Pour un premier jour, je suis un peu anxieuse. […]

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Dans la pièce, les tables sont placées en forme de U. Installés autour, les prisonniers nous saluent poliment. Nous nous installons avec eux – et non en face. L’idée est d’avoir un rapport d’égal à égal. […]

Nous commençons à distribuer des questionnaires pour évaluer le niveau de culture générale des détenus. Nous avions convenu de ne pas les interroger sur un niveau plus élevé que celui d’un élève de 6e. Nous nous sommes vite rendu compte que c’était idiot. Au moment de la correction, à une question à choix multiples sur les dates de la première Guerre Mondiale, l’un des détenus complète en rappelant que « le conflit a été déclenché suite à l’assassinat de l’archiduc austro-hongrois François Ferdinand à Sarajevo ».

Je ne pensais pas avoir de préjugés avant de rencontrer les prisonniers. Être surprise par la réponse de cet homme me l’a prouvé. La suite des séances n’a fait que confirmer ce sentiment. J’imagine que la société véhicule un certain nombre de clichés que l’on finit par intégrer à la longue : les gens en prison seraient stupides, voire illettrés, rien ne pourrait les intéresser, ils seraient tous drogués ou toxicos, etc. Tout ça vole vite en éclats.

C’est finalement assez bizarre, mais les mecs sont toujours souriants. Mine de rien, ils ont dix fois plus de mérite que nous à l’être. Avec ma binôme et moi, ils ont presque une attitude de grands frères, sans être macho ou tomber dans le copinage.

Je me souviens qu’une fois, je m’étais fait casser ma voiture en bas de chez moi. L’un des détenus m’avait gentiment proposé de m’en voler une autre. Certes, en termes de réinsertion c’est pas top, mais l’intention était sympathique ! […]

Sur des sujets comme la religion ou le conflit israélo-palestinien, c’est pas toujours joyeux. Un jour, l’un s’est emporté et le débat s’est envenimé. La discussion portait sur la liberté d’expression et a dévié sur les juifs en France (plus cliché tu meurs). Le jeune homme devait avoir 25 ans. Il est soudainement sorti de ses gonds et s’est mis à crier. Son teint a tourné rouge vif. La violence verbale a suivi. Je me suis faire traiter de sale juive par exemple. Les arguments n’avaient plus ni queue ni tête. Il a fini par sortir de la salle. Plus tard, j’ai appris que l’administration avait eu vent de l’affaire et le garçon a été exclu de notre atelier, sans qu’on ait vraiment notre mot à dire.

Ça m’a contrarié de ne pas avoir pu discuter de cet échange houleux avec lui. […] Plusieurs fois il m’a confié avoir fini en isolement (soit enfermé seul). Ça peut durer 24h, 48h, une semaine, on ne sait jamais vraiment. Et un jour ça a pété. Je pense que cette explosion de colère est le résultat d’une accumulation de frustration. […]

C’est normal quand tu es traité comme une bête et qu’on t’enlève tous tes droits, alors que tu devais juste perdre ton droit d’aller et venir. La situation d’isolement, sans la famille, est également dure à vivre.

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Je suis en désaccord avec les conditions de détention actuelles en France. C’est un fait. Mais je suis également consciente qu’une prison n’est pas le Club Med. Même si les détenus sont adorables et attachants, ils sont là pour purger une peine. […]

Durant cette année au Génépi, j’ai rencontré des êtres humains, pas des délinquants. De ce fait, j’ai envie d’être idéaliste et penser qu’un homme qui a été en prison n’y retournera pas. Mais les statistiques montrent qu’un sur deux y retourne.

Et c’est assez triste. J’ai également envie de croire qu’aucun des détenus que j’ai rencontré ne me voudrait du mal. Mais je garde la possibilité de croiser quelqu’un de malveillant. Ça n’est même pas un préjugé, c’est une possibilité. Nous ne sommes pas des imprudents. Finalement, on se retrouve vite le cul entre deux chaises.

Street Press

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