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Tribune de Perrine Simon-Nahum (directrice de recherches au CNRS) dans Le Monde. Elle est notamment l’auteur de I »l s’est passé quelque chose le 21 avril 2002 ».

Ce que le Front Bleu Marine vient de conquérir en deux ans sous nos yeux c’est une légitimité à exister dans le jeu démocratique.

La victoire du Front national nous aura au moins appris une chose : nous ne pouvons plus confier à la politique l’avenir de la démocratie. Il ne s’agit pas ici de faire le procès des dirigeants, de droite comme de gauche, pour n’avoir pas su s’opposer à la «résistible ascension» de Marine Le Pen, même s’il y aurait beaucoup à dire sur les ravages provoqués ici par un aveuglement idéologique, là par les démangeaisons d’un populisme ravageur, et partout par le sacrifice de nos valeurs aux appétits personnels. […]

Ce à quoi sa présidente s’attaque en réalité directement, ce sont les principes de légalité qui sont à la base de notre démocratie. Derrière le dévoiement des mots, – les mêmes mots sont employés qui recouvrent un sens opposé – c’est en effet au cœur de la démocratie que frappent Marine Le Pen et ses lieutenants.

C’est déjà ce que tentait d’expliquer Raymond Aron lorsqu’en 1938 il affrontait lors de sa soutenance de thèse ceux de ses professeurs qui, alors que s’accumulaient les nuages du Reich, proclamaient leur confiance dans la victoire envers et contre tout de la Raison démocratique. […] En 1945 malheureusement ni Victor Basch, ni Léon Brunschvicg n’étaient là pour poursuivre le dialogue avec leur ancien élève. L’un avait été abattu avec sa femme par la Milice, l’autre, traqué, s’était éteint loin des siens, à l’hôpital d’Aix-les-Bains. […] Dès lors que celle-ci [la légalité républicaine] se trouve confisquée au profit d’un pouvoir qui en détourne le sens sous des apparences trompeuses, elle perd tout moyen de se défendre. […] C’est la même tactique qu’emploie aujourd’hui Le Front Bleu Marine : la conquête des institutions par le dévoiement des mots, le désarmement de la légalité républicaine dont les mécanismes seront bientôt mis au service d’un pouvoir dont les objectifs sont radicalement opposés aux nôtres. Le débat n’est pas politique. Il est spirituel. Convoquons aujourd’hui nos philosophes avec pour mission à nouveau de « réarmer la sagesse ».
Le Monde

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