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Les revenus estimés provenant du trafic de drogue et de la prostitution seront intégrés l’an prochain, en vertu de nouvelles règles européennes, dans le calcul du PIB en Italie, ce qui pourrait singulièrement doper celui-ci, selon l’institut statistique italien Istat.

Seront intégrés également dans ce calcul, selon ces mêmes règles européennes, la contrebande de tabac et d’alcool, a indiqué jeudi 22 mai l’Istat, qui relève toutefois que la procédure sera “très difficile pour la raison évidente que ces activités illégales ne sont pas déclarées”.

Le concept d’activité illégale est également sujet à différentes interprétations“, relève l’Istat dans un communiqué. En 2012, la Banque d’Italie a évalué la valeur de l’économie criminelle à 10,9% du PIB. Théoriquement, cela signifie que le PIB italien pourrait être largement supérieur au taux de croissance de 1,3% prévu par le gouvernement.

Selon l’agence européenne Eurostat, ce nouveau calcul pourrait porter le taux de croissance du PIB à 2,4% en Italie, tandis que les augmentations les plus significatives seraient enregistrées en Finlande et en Suède (4 à 5%), suivies de l’Autriche, de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas (3 à 4%).

Les revenus générés par les entreprises qui ne payent pas leurs impôts est déjà intégré dans le calcul du PIB en Italie. Il était estimé entre 16,3% et 17,5% du PIB en 2008, dernières statistiques publiées dans ce domaine.

L’Expansion

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Matteo Renzi, le Premier ministre italien, peut dire merci aux pontes de la mafia pour la prospérité d’une partie non négligeable de leurs activités économiques… On pourrait croire à une blague, mais l’affaire est très sérieuse. L’agence de statistiques Istat, l’équivalent de l’Insee en France, a annoncé qu’elle allait prendre en compte les revenus générés par la prostitution, la drogue et les divers trafics (cigarettes, alcool…) pour calculer le Produit intérieur brut (PIB) de l’Italie.

Contacté par Challenges.fr, Gian Paolo Oneto, le patron de la direction de la comptabilité nationale à l’Istat, se défend en arguant que “les règles sont les mêmes pour tous les pays de l’Union européenne. Eurostat nous a donné les ‘guides lines’. Nous devons les appliquer !”

Pour justifier l’incorporation de l’économie souterraine dans le calcul de la richesse produite, le fisc italien se réfère à un alinéa d’ESA 2010. Ce texte, rédigé par Eurostat (l’agence en charge des statistiques de l’UE) définit les nouvelles normes comptables européennes. Elles rentreront en vigueur en septembre 2014.

A la page 15, le document stipule: ” La définition d’une transaction implique que l’interaction entre les unités institutionnelles se fasse d’un commun accord (…) Les activités économiques illégales doivent être considérés comme des transactions quand toutes les unités parties prenantes le font par accord mutuel. De ce fait, achats, ventes ou troc de drogues illégales ou d’objets volés sont des transactions quand le vol ne l’est pas.”

Comment évaluer l’économie illicite ?

Oui, mais comment évaluer le montant des transactions illégales sur le sol italien ? On imagine mal un membre de la Camorra, la mafia napolitaine, téléphoner à un statisticien de l’Istat pour lui faire part de ses gains et de la croissance de son activité ! “Effectivement, c’est pas la bonne méthode“, répond hilare Gian Paolo Oneto.

Après avoir repris son sérieux, il détaille: “Nous allons nous appuyer sur les données de la police et de la justice qui ont une bonne connaissance du volume et des prix des produits stupéfiants et des services des prostitués. Nous ferons appel aux ONG qui travaillent avec les drogués et les prostitués.” Avant de retourner à sa besogne, il lâche à la dérobée: “Vous savez, en Italie, nous avons une tradition dans l’évaluation de l’économie souterraine !”

De son côté, l’un des porte-paroles d’Eurostat s’étonne de la polémique que peut susciter la prise en compte des revenus de la drogue et de la prostitution dans le calcul du PIB. “Nous ne faisons que nous conformer aux normes internationales ! Les Etats-Unis les ont mis en application l’année dernière. Et puis le principe d’inclure les revenus de l’économie illégale était déjà inscrit dans les textes européens depuis 1995 avec les normes ESA 95. Il n’y a donc rien de nouveau !”

Quoiqu’il en soit, ESA 2010 est une aubaine pour l’Italie, l’un des “hommes malades” de la zone euro. En treize ans, l’Italie a connu quatre périodes de récession. Et en 2011, le pays a frôlé de près la faillite suite à l’attaque des marchés et à l’augmentation des taux d’intérêt sur sa dette abyssale, qui dépasse les 120% de son PIB.*

Une aubaine pour le gouvernement italien

Du coup, la prise en compte de l’argent de la drogue et de la prostitution est plutôt une bonne nouvelle pour le pays… Selon la Banque d’Italie, l’économie criminelle représenterait 10,9% du PIB en 2012. D’après une étude de l’institut italien Demoskopika, le chiffre d’affaires de la ‘Ndrangheta a atteint 53 milliards d’euros en 2013, presque autant que Peugeot et Airbus! Selon les Nations-Unies, cette fois, les quatre organisations mafieuses (‘Ndrangheta, Cosa Nostra, Calabre, Sacra Corona Unita) dégagent un chiffre d’affaires de 116 milliards d’euros, soit 5,9% du PIB!

Ce fait dire à Giuseppe Di Taranto, économiste et professeur à l’université de Rome, contacté par Bloomberg, que “Matteo Renzi aura une plus grande marge de manœuvre budgétaire.” Il ajoute: “même si cela est dur à quantifier, il est certain que ça aura un impact positif sur la croissance.

De quoi redonner le sourire au gouvernement italien. Ce dernier a annoncé il y a peu des prévisions de l’ordre de 0,8% de croissance pour 2014. En comptabilisant les revenus tirés des activités mafieuses, la croissance pourrait dépasser les 1%, voire même avoisiner les 1,6%. Ce qui ferait de l’Italie l’un des moteurs de la zone euro !

Et en France ?

Pour l’Insee, il n’est pas question d’inclure l’économie illégale dans le calcul du PIB.  L’organisme public est catégorique: “Nous n’incorporons pas les activités illégales dans ses estimations, dans la mesure où les circonstances dans lesquelles s’effectuent ces activités (dépendance des consommateurs de stupéfiants, esclavage sexuel dans certains cas) ne permettent pas de considérer que les parties prenantes s’engagent toujours librement dans ces transactions.

En France, les activités économiques échappant à l’impôt sont estimées à moins de 10% du PIB selon une étude du très sérieux institut allemand de veille économique IAW.

L’Insee tient, par ailleurs, à opérer un distinguo entre, d’un côté, l’économie souterraine, interdite, et de l’autre l’activité dissimulée. Cette dernière (travail au noir dans la construction ou contrebande de tabac par exemple) “n’est généralement pas de nature illégale, même si elle s’exerce dans un cadre qui ne respecte pas toutes les dispositions légales.

Et d’ajouter: “C’est pourquoi les comptes nationaux incorporent depuis longtemps dans leurs estimations des redressements pour tenir compte de l’activité dissimulée. L’ensemble des corrections au titre de l’activité dissimulée représente 3,4% du PIB français en base 2010.

Une double comptabilité

Pour clarifier la situation, l’Insee assure que la prostitution est partiellement déclarée au fisc. “Les revenus correspondants sont bien pris en compte par l’Insee dans la mesure du PIB. La prostitution clandestine, en revanche, en est exclue“, précise l’institut de statistiques.

Mais l’Insee reconnaît qu’une correction sera apportée au PIB pour être conforme aux exigences de Bruxelles. Mais, elle promet que cette dernière ne figurera pas dans les données publiées sur son site Internet.

De fait, la France se doit de respecter les normes européennes y compris sur le plan statistique. Cependant, l’Union européenne laisse la possibilité aux États de calculer comme ils veulent le PIB au niveau national. Mais par souci d’harmonisation, les 29 membres de l’UE doivent appliquer les normes ESA 2010 et les transmettre à Eurostat. A défaut, elles ne seraient plus comparables.

Challenges

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