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Papier d’Esther Benbassa

Cinq rapports, des centaines de pages, qui dormaient sur le site du Premier Ministre depuis un mois. L’un des auteurs de ces textes, avec qui je travaille depuis des années, m’a confirmé au téléphone qu’il pensait depuis longtemps déjà qu’ils étaient enterrés. Mais, contexte préélectoral oblige, la droite s’en est emparée ce vendredi pour mettre le feu et tenter de déstabiliser l’exécutif et de se gagner quelques voix à sa propre (extrême) droite. […]

Hebergeur d'imageCe qui fait mal à la France, c’est son islam. Et la bronca des derniers jours nous le rappelle. Le voile, toujours le voile, agité comme un épouvantail, brandi à nouveau à chaque échéance électorale pour pallier l’absence de contenu des programmes politiques ! L’excitation est générale, touchant aussi bien les copéistes que les marinistes (ou néo-lepénistes) en perpétuelle concurrence.

La laïcité, “valeur suprême” de la République, est sollicitée inlassablement par les uns comme par les autres. Une laïcité qui, on l’oublie, émerge finalement assez tard dans l’histoire de cette République, et qui relève plus d’un contrat que d’une valeur. Mais quand on est bien à court d’arguments et de projets, voilà qu’elle sert d’armure pour cacher – ou pour se cacher – son islamophobie.

Je dirai en un mot qu’il y a une laïcité éthique, qui est le ciment de notre vivre-ensemble, et une autre, qui divise, synonyme, dans le meilleur des cas, d’une crispation, guère nouvelle, à l’endroit de l’islam en France, et dans le pire des cas, d’un rejet profond, voire d’une haine, des musulmans.

Cette instrumentalisation de la laïcité par nos responsables politiques de droite et d’extrême droite à des fins purement électoralistes n’illustre rien d’autre que leur impuissance, leur manque d’imagination, leur incapacité à produire un discours crédible. Ce qui donne une justification de plus au désamour des Français à l’égard de tous leurs élus. […]

La laïcité n’est-elle pas aussi ce qui doit permettre la libre expression des religions, tant quelle ne menace pas la neutralité de l’Etat ?

En quoi, par exemple, une mère de famille musulmane à la tête couverte d’une écharpe menace-t-elle cette neutralité lorsqu’elle demande à accompagner des élèves dans une sortie scolaire ? La question du port du voile à l’école justifiait-elle une loi, et une interdiction sans recours, alors que ce dont nous avons besoin, pour faire société, est d’abord d’espaces de dialogue et de négociation ? Ne pouvait-on convaincre les élèves par des arguments plutôt que d’interdire et de sanctionner sans explication ? […]

Utiliser le mot “intégration” à propos de personnes issues de l’immigration mais nées en France est évidemment un non-sens. Thierry Tuot, conseiller d’Etat, le disait avec éloquence dans un autre rapport, présenté au Premier Ministre en février 2013… et lui aussi aussitôt enterré (il y a beaucoup de places au cimetière des rapports) ! Sa liberté de parole lui a coûté son poste. Ne savait-il donc pas qu’on préfère la langue de bois ? Titre de son œuvre ? La Grande Nation. Pour une société inclusive. […]

Ceux qui parlent là savent de quoi ils parlent, ils l’approchent avec les outils de la critique, mais ils l’ont aussi vécu dans leur chair. Insupportable prise de parole qui est une prise de pouvoir. C’est sans doute ce qui fait dire au chercheur Hervé Le Bras, de son bureau du 6e arrondissement de Paris, dans le JDD du 15 février : “aucun des chercheurs qui font autorité sur ces questions à droite comme à gauche, n’y a participé”. C’est sûr : ces chercheurs aux noms à consonance arabe (à côté, tout de même, de quelques autres aux noms “bien français”), ces associatifs qui sont sur le terrain, tous ces auditionnés venus d'”en bas” ne sont de toute évidence pas les mieux placés pour parler de ce dont ils parlent… […]

Ils dénoncent pourtant avec raison la discrimination et l’ethnicisation à l’école et dans l’orientation scolaire, dans la formation professionnelle et universitaire et dans l’accès à l’emploi, l’inégalité dans l’accès aux mesures d’aide à l’emploi, la discrimination et la racialisation dans le travail, l’effet négatif des étiquettes, le rapport négatif des populations minorisées à la société française. […]

Voilà qui permettrait à certains de comprendre qu’il arrive qu’on siffle la Marseillaise ou qu’on parade, dans les matchs France-Algérie, avec des drapeaux algériens. Pour faire une société commune, pour éteindre ces accès de fièvre “antifrançaise”, ne faut-il pas descendre à la racine du mal et le guérir vraiment ?

Les préconisations formulées ne sont pas moins intéressantes que le diagnostic posé : enseigner une histoire plurielle, mettre l’accent sur l’enseignement de l’arabe et d’une langue africaine, créer une “cour des comptes de l’égalité” (mais là c’est peut-être trop : donner le nom de cette honorable institution à un organisme s’occupant de l’égalité des filles et fils d’étrangers avec les Français “de souche” !), formation des enseignants, accès facilité à l’enseignement supérieur (là où se forment les élites!), etc. La liste est longue et riche.

N’enterrons pas ces rapports ! Enrichissons-nous de leur contenu ! N’ayons pas peur ! […]

Huffington Post

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