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Bien sûr, la France est un grand pays doté de nombreux atouts et d’un système social admirable. Mais pour avancer, elle doit cesser de rejeter toute réforme, alerte The New York Times.

Pendant des décennies, les Européens n’en ont eu que pour l’Allemagne, sa puissance et son rôle, vu l’importance de ce pays pour la stabilité et la prospérité de l’Europe. On appelait ça la “question allemande”. Aujourd’hui, c’est de “la question française” qu’il s’agit en Europe : le gouvernement socialiste de François Hollande saura-t-il endiguer le lent déclin de la France et l’empêcher d’être irrémédiablement reléguée au deuxième rang des pays européens ?

La question est de savoir si un système de démocratie sociale, qui pendant des décennies s’est targuée de fournir à ses citoyens un niveau de vie stable et élevé, pourra survivre à la mondialisation, au vieillissement de sa population et aux graves chocs budgétaires de ces dernières années.


Transformer un pays est toujours une tâche difficile. Mais, dans le cas de la France, le défi semble particulièrement complexe, notamment à cause de l’amour-propre* et de l’opinion que cette nation a d’elle-même – celle d’un leader européen et d’une puissance mondiale.

Mais aussi parce que la vie en France est très confortable pour une bonne partie de la population et que le jour du Jugement dernier semble encore bien loin – en particulier pour les syndicats, qui sont petits mais puissants.

Un si beau modèle social
En réalité, la reprise économique pourrait se révéler un obstacle supplémentaire, car les Français seront tentés d’espérer qu’une croissance modestesuffira une fois de plus à masquer les problèmes de fond, à la manière d’un tranquillisant. Les Français sont fiers de leur modèle social, et à juste titre. L’assurance-maladie et les retraites sont satisfaisantes, beaucoup partent à la retraite à 60 ans ou même avant, et il est courant de prendre cinq ou six semaines de vacances en été. A temps plein, ils travaillent trente-cinq heures par semaine et les nombreuses régulations en place les empêchent d’être licenciés ou renvoyés.

Néanmoins, dans une économie mondiale toujours plus concurrentielle, la question n’est pas de savoir si le modèle social français est valable ou non, mais si les Français auront encore longtemps les moyens de le maintenir.

Et vu la tendance actuelle, la réponse est non, certainement pas sans d’importantes transformations structurelles des retraites, des impôts, des avantages sociaux, de la réglementation du travail et des attentes [de la population].
Le Parti socialiste de François Hollande et l’extrême gauche française ne semblent pas avoir compris la fameuse déclaration du neveu du prince, dans Le Guépard, le célèbre romande Giuseppe Tomasi di Lampedusa, sur les bouleversements sociaux : “Il faut que tout change pour que rien ne change.” En parlant avec les politiciens et les travailleurs français, on a parfois l’impression qu’ils se voient tous comme des communards et des révolutionnaires, des combattants de gauche – et pourtant, parallèlement, ils veulent conserver le confort du monde qu’ils connaissent, à l’instar de l’extrême droite.
La jeunesse n’est plus ce qu’elle était
En mai 1968, les étudiants de l’université de Nanterre ont déclenché ce qu’ils pensaient être une révolution. Des étudiants français en cravate et socquettes ont lancé des pavés sur la police et ont exigé que le système sclérosé de l’après-guerre évolue. Aujourd’hui, les étudiants de Nanterre craignent de ne pas trouver d’emploi et de perdre les allocations versées par l’Etat. Ce qu’ils veulent, c’est que rien ne change. Pour Raphaël Glucksmann, qui a dirigé sa première manifestation lycéenne en 1995, les jeunes de sa génération envient avec nostalgie leurs prédécesseurs rebelles, mais ils n’ont pas le courage de lutter dans ce contexte économique difficile.
Aujourd’hui, les jeunes manifestent pour s’opposer à toutes les réformes, explique-t-il. Nous ne voyons pas d’autre solution. Nous sommes une génération sans repères.
Les Français comprennent pourtant qu’à long terme ils n’ont pas intérêt à empêcher une modification structurelle de leur économie très régulée.
Les alertes sont partout : un chômage record, notamment chez les jeunes, une croissance lente par rapport à l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou l’Asie, ou encore des dépenses publiques qui atteignent quasiment 57 % du PIB, soit le taux le plus élevé de la zone euro et 11 points de plus que pour l’Allemagne. Le gouvernement emploie 90 fonctionnaires pour 1.000 habitants, contre 50 en Allemagne. En 2012, environ 82 % des emplois créés étaient des contrats temporaires, contre 70 % cinq ans plus tôt, et contrairement aux emplois à temps plein, ces contrats ne permettent pas d’accéder à la classe moyenne française. Cette situation contraint quasiment toute une génération à vivre dans la précarité, y compris ceux qui travaillent dur et qui font de longues études.
Points forts
A Amiens, dans le Nord, l’entreprise Goodyear possède deux usines de pneus. Dans l’une, les ouvriers ont accepté à contrecœur de modifier leurs emplois du temps afin que l’usine ne ferme pas. Dans l’autre, ils ont refusé et Goodyear essaie actuellement (mais ce n’est pas si facile en France) d’en négocier la fermeture, mettant ainsi davantage de monde à la porte.

Je fais partie d’une génération qui a connu le Programme commun de la gauche, explique Claude Dimoff, ancien dirigeant syndical de l’usine qui a fait preuve de plus de flexibilité. Nous avions des projets pour l’avenir et des valeurs différentes, mais tout cela a été oublié. La gauche a complètement laissé tomber ses promesses.

Le pays a encore beaucoup de points forts : la France est la cinquième économie mondiale, elle a une solide expérience dans la gestion, les sciences et l’innovation, et le fossé entre les riches et les pauvres, même s’il grandit, y reste plus réduit que dans la plupart des pays occidentaux. Lorsque les Français travaillent, ils travaillent dur : la productivité de la main-d’œuvre, qui est sans doute le principal indicateur du potentiel économique d’un pays, reste relativement élevée, même si elle accuse un recul certain. Mais avec de longues vacanceset des semaines de trente-cinq heures, les Français travaillent moins longtemps que la plupart de leurs concurrents, ce qui met d’autant plus de pression sur les entreprises et l’économie.
Impossibles réformes
Sondage après sondage, les Français répètent qu’ils veulent des réformes et une modernisation de leur système – tant que cela n’a aucun impact pour eux. C’est l’éternel défi politique, et on reproche à Nicolas Sarkozy, le prédécesseur conservateur de François Hollande, de ne pas avoir respecté sa promesse de mettre en œuvre de grandes transformations structurelles.
S’il se plaignait constamment, par exemple, des conséquences catastrophiques de la semaine de trente-cinq heures, Nicolas Sarkozy ne l’a jamais abrogée. A la place, il s’est contenté de jouer avec la fiscalisation des heures supplémentaires, une mesure que François Hollande s’est empressé de supprimer.

L’un des conseillers de Nicolas Sarkozy, Alain Minc, a admis que l’ancien président avait tout simplement peur d’affronter les syndicats et le tollé social que de véritables changements provoqueraient. 

Beaucoup s’accordent à penser que seule la gauche peut lancer de grandes réformes structurelles et sociales. Mais, pour cela, il faudrait que François Hollande, qui bénéficie de la majorité parlementaire, se décide à s’opposer à son propre parti pour préparer l’avenir. C’est ce qu’a fait l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder au début des années 2000, lorsqu’il a apporté une série de mesures qui expliquent en grande partie la bonne santé de l’Allemagne aujourd’hui.
Concertation
François Hollande affirme croire au dialogue avec les partenaires sociaux, une méthode qui a jusqu’à présent préservé une paix relative, mais n’a pas apporté de véritable réforme. Grâce à un accord avec les syndicats centristes, il a réussi à rendre le marché du travail légèrement plus flexible : il est désormais plus facile d’appliquer des horaires variables et les charges sont plus élevées pour les contrats à court terme. A partir de 2014, les entreprises bénéficieront d’un crédit d’impôt d’environ 27 milliards de dollars [20 milliards d’euros], en partie financé par une hausse de la TVA.
Mais, souvent, des mesures qui semblent courageuses à leur échelle n’ont que peu de résultats. Sans compter que ces efforts modestes ont eu lieu à l’apogée du pouvoir de François Hollande, qui est désormais sur la pente descendante.
Courrier international

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