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Le nouveau film de Neill Blomkamp, réalisateur de District 9, est maintenant dans les salles obscures. Nous pouvons ainsi suivre les aventures d’un Matt Damon post-humain en lutte contre l’injustice émanant d’un ordre social futuriste dans lequel les riches vivent longtemps (plus d’un siècle) en bonne santé dans la station spatiale orbitale Elysium, tandis que les pauvres survivent comme ils le peuvent sur une terre surpeuplée transformée en vaste bidonville.

par Olivier Schmitt

L’histoire est simple, voire simpliste : les riches bénéficient d’une technologie médicale particulièrement avancée, tandis que les pauvres sont victimes d’un eugénisme social puisqu’ils ne peuvent accéder aux soins. Heureusement, le héros Matt Damon va renverser cet ordre injuste en piratant le système d’Elysium et ainsi permettre à chacun de bénéficier de traitements médicaux. Pour ceux qui seraient longs à comprendre la métaphore sociale, l’antagoniste principale jouée par Jodie Foster prend modèle sur Christine Lagarde, actuellement directrice du si décrié FMI, et il n’en a pas fallu plus pour que le film soit interprété comme une défense de la couverture sociale universelle et, plus spécifiquement dans le contexte américain, de l’Obamacare.

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La direction artistique est impeccable et le look cyberpunk des armes, des décors et des droïdes s’intègre parfaitement au décor d’une Los Angeles dévastée. Néanmoins il faut bien reconnaître qu’Elysium est loin de posséder le charme de District 9, dont la violence symbolique et physique maladroitement mêlée à un romantisme un peu simpliste laissait présager de grandes choses pour son réalisateur. Celui-ci a bénéficié d’un budget bien supérieur, et tombe trop facilement dans le piège de l’émotion cheap à grands renforts de ralentis et de chœurs féminins, très inspirés par Gladiator.

Mais ce que l’on pouvait pardonner à Ridley Scott au début des années 2000 passe mal en 2013 après s’être habitués au style maîtrisé d’un Christopher Nolan. L’amateur de la chose militaire relèvera aussi des incohérences et des absurdités : pourquoi Elysium ne dispose-t-elle pas de systèmes de défense antiaériennes et d’une aviation de combat, empêchant les terriens de s’y rendre ? Comment se fait-il qu’un missile sol-air de type MANPAD puisse parcourir en quelques minutes près de 200.000 kms pour rattraper et détruire des navettes spatiales en route vers Elysium ? C’est le futur, mais quand même ! On sent également confusément que Bloomkamp est contraint par ses producteurs et réalise un film légèrement subversif (afin de donner des frissons à l’américain moyen et faire hurler le parti républicain), mais toujours rentable : il ne s’agirait pas de pousser la critique sociale trop loin.

D’ailleurs, les pauvres demandent seulement à être soignés par les riches, et certainement pas une redistribution des richesses, obéissant ainsi à la vieille revendication de l’élite économique selon laquelle le social relève de la charité personnelle, et non de la politique économique.

 

Le film n’est donc pas parfait, mais il me semble que les critiques focalisées sur le message social simpliste et incomplet passent à côté du cœur de l’œuvre, qui est fondamentalement une analyse de la disparition du politique suite à l’action conjuguée de l’économique et de la technologie.

Le monde que nous donne à voir Elysium est plus celui de la lutte des classes que de la rivalité des nations, qui semblent avoir disparu au profit d’une oligarchie transnationale dont le seul but semble être sa propre reproduction.

Le seul symbole national qu’il nous sera donné d’apercevoir est un discret drapeau sud-africain, référence à la nationalité du réalisateur, peint sur la carlingue de la navette des mercenaires. Ainsi, la ministre de la Défense (Jodie Foster) décide elle-même de ce qui constitue un acte de guerre, s’arrogeant les pleins pouvoirs et révélant la mascarade qu’est l’existence d’un grand conseil chargé de décider du devenir d’Elysium. Elle s’entend d’ailleurs avec un industriel de l’armement pour institutionnaliser sa prise de pouvoir, symbolisant ainsi la vacuité des institutions de cette terre future et le poids de l’économique.

La conséquence de la disparition des ordres politiques traditionnels (cités, Etats, empires) au profit d’une oligarchie transnationale est forte: sur la terre de 2154, la guerre n’existe plus, mais la violence est partout.

En effet, la guerre en tant que violence organisée dans un but politique n’a plus de raison d’être : la société présentée dans Elysium est anomique, ultra-individualiste, et orientée vers la survie. Les organisations politiques ont disparu pour laisser la place à des interactions entre individus incapables de s’organiser afin de mener une action collective. Cette société rappelle l’analyse d’Hannah Arendt qui avançait que le totalitarisme se caractérise par l’absence de politique (comprise comme la capacité pour les individus de délibérer et d’agir collectivement) plutôt que par un trop-plein de politique qui aurait envahi la société et l’Etat, ce qui constituait à l’époque l’explication dominante du nazisme et du stalinisme. L’Homme n’est ainsi plus « l’animal politique » aristotélicien, mais est réduit à sa biologie, et donc un animal comme les autres. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le film se centre sur les défaillances de cette biologie en évoquant les soins médicaux : sans politique (et donc sans capacité d’action collective), les Hommes ne peuvent plus que se concentrer sur leur organisme.

Le maintien de cet ordre a-politique est rendu possible par la généralisation des instruments de contrôle,

et le film donne à voir les principales angoisses occidentales générées par la technologie : drones, robots autonomes, piratage de données, cyborgs post-humains, etc. Mais ce que cette technologie permet, c’est un contrôle très précis des populations appauvries : c’est le stade ultime du bio-pouvoir analysé par Michel Foucault. Les corps et les âmes sont « disciplinés » par les possibilités offertes par la domination technologique et, sans l’intermédiation de la politique, l’homme est seul face au pouvoir, ce qui se traduit par une violence généralisée. Le seul moyen que trouvera le héros de contrecarrer ce bio-pouvoir est d’y céder lui-même en devenant un cyborg, ce qui lui permet d’améliorer ses capacités physiques.

Elysium est ainsi, presque malgré son réalisateur, une réflexion au final très intéressante sur le résultat de la convergence possible entre un ordre économique néo-libéral et les nouvelles technologies,

dont le pessimisme n’est pas sans rappeler celui de Christopher Cocker. S’arrêter au message « sécurité sociale » passe à côté de la réflexion centrale du film qui est fondamentalement une analyse de la solitude de l’individu face au pouvoir dans une société dont la politique est absente.

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