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Depuis vingt ans, nous cherchons à créer un état d’esprit favorable à une prise en compte de  l’usage de l’information. Si j’osais une comparaison historique un peu décalée, nous sommes encore loin d’égaler le niveau de ferveur des soldats de l’armée de l’an II. Or c’est justement la volonté de réagir sans trop savoir comment et avec une minorité potentiellement agissante que l’armée de l’an II a pu se transformer en une force capable de rivaliser avec toute une partie de l’Europe de la fin du XVIIIe siècle. La France du XXIe siècle entame à peine cette mutation dans un contexte de guerre économique.

Par Christian Harbulot

Les pays qui sont très avancés dans un tel processus sont les nouveaux entrants à l’image de la Chine qui développe depuis  30 ans un modèle d’accroissement de puissance par l’économie, reprenant à son compte les fruits du modèle japonais et sud-coréen. Ces économies combattantes ne fonctionnent pas comme les acteurs économiques du monde occidental. Mais le résultat est là : la Chine est en train de devenir la partie la plus dynamique du monde.

Face à ce monde en mouvement, on ne ressent pas dans notre pays l’âme d’un peuple, ni le partage de valeurs communes pour un combat utile à l’intérêt général.

La notion d’affrontement non militaire n’est prise réellement au sérieux que dans la gestion des parcours professionnels ou dans la vie privée. Par ailleurs, on voit apparaître un nouvel univers conflictuel, celui de la société d’information dont le cyberespace n’est qu’une toute petite partie par rapport à ce que cet univers représente.

Autrement dit, nous avons deux défis à relever :

  • L’élargissement du champ de vision de l’intelligence économique,
  • L’usage de la connaissance dans la société de l’information.

Imiter le réalisme américain
Récemment, un article dans le Figaro indiquait que le made in America commençait à porter ses fruits, dans un pays libéral où il y a une mobilisation des parties prenantes pour créer de l’emploi localisé, avec un objectif de 5 millions d’ici 2020. Le projet est défini par le Président des Etats-Unis et appuyé par le Congrès des Etats Unis. Notre pays phare, celui auquel notre élite se réfère depuis des dizaines d’années, agit et cela commence à engranger des bénéfices.

Alors que nous, quand on parle du made in France, on en est encore à une publicité symbolisée par la marinière portée par le Ministre du Redressement productif. Il y a là un véritable problème.

Avant tout c’est un problème de synchronisation de la réflexion stratégique car personne ne nous interdit d’imiter le modèle américain, que ce soit au niveau français ou au niveau européen.

Les Américains jouent sur tous les tableaux en plaidant à la fois l’ouverture des marchés tout en appliquant parallèlement des mesures protectionnistes, contrant l’appétit commercial du Japon au début des années 1990 pour ensuite lui faire de nouvelles concessions depuis un an à cause de la pression exercée par la Chine dans cette région du monde. Dans le même ordre d’idées, ils ouvrent leur marché intérieur à la Corée du Sud (menacée par la Corée du Nord communiste), alors qu’ils savent pertinemment que c’est un concurrent redoutable dans des secteurs industriels de pointe. Cette géométrie variable dans la gestion des affrontements nous sort des clichés habituels sur la mondialisation. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de grandes négociations entre les Américains et les Chinois, ni d’essor des échanges commerciaux.

Le problème de la France en 2013 réside dans son incapacité à engager ses forces vives dans des stratégies concertées de moyen/long terme.

Mais aujourd’hui, nous n’avons plus le choix, et si les Etats-Unis nous montrent l’exemple, il suffit de les imiter. Notons à ce propos que la plupart des commentateurs en sont encore à ricaner sur le made in France.

Donc nous, Français, n’avons pas encore franchi le Rubicon. Tout reste à faire et la priorité absolue est de trouver les arguments légitimes afin de formaliser sur le terrain économique les bases d’une unité nationale.

Nous avons encore beaucoup de mal à rentrer dans ce mode de raisonnement. Et ce n’est certainement pas en concentrant les efforts sur la sécurité que l’on va répondre au besoin vital de stratégie de développement et de conquête de parts de marché. Mais pour se mettre en ordre de marche, encore faut-il savoir tirer certaines leçons tirées du passé ?

Eviter les pertes de mémoire
Dans un premier temps, il faut tirer le bilan du début de la Vème République. Le général de Gaulle n’a pas été suivi par sa majorité dans sa volonté de limiter la dépendance de la France vis-à-vis des Etats-Unis. Les traces de cette démarche ont été discontinues et trop peu suivies d’effets. Je pense notamment au rapport Made in France de Benjamin Coriat et Dominique Taddei publié en 1992 et cité dans les travaux de la commission Compétitivité du XIe Plan. Sur quelle mobilisation a-t-il débouché ? De plus, il a fallu que Louis Gallois, membre de cette commission, lève le doigt pour dire: « Cela serait bien d’ajouter une page sur le rôle de l’information dans la compétitivité». Il n’y avait aucune analyse du rôle stratégique de l’information dans le rapport de Coriat et Taddei.
Etrange rupture dans le cheminement de la connaissance dans la mesure où Jean Michel Treille qui travaillait au Commissariat général au Plan au début des années 1970, avait déjà bien avancé sur ce sujet. Il était chargé de développer

le système d’information Mars qui avait pour vocation de permettre un échange d’informations entre les administrations, les grands groupes et les PME dans le cadre d’une politique industrielle concertée.

En 1976, les pouvoirs publics ont mis fin à l’expérience. Dans un article du Monde paru à la même époque, il était précisé que certaines grandes entreprises du CAC 40 n’estimaient plus utiles de partager de l’information avec des PME.

Cette remise en cause de la politique industrielle amorcée par Michel Debré en 1961 a marqué un coup d’arrêt à la réflexion sur le devenir de la puissance économique de la France.

C’est sur la base de ces bilans qu’il faut reconstruire les points de repère d’une réflexion stratégique. Dans cette longue marche vers la recomposition de forces vives, le rapport Martre a donné l’exemple. Dans ce rapport, aurait dû figurer le bilan de l’échec de la vente du Mirage 2000-5 à la Finlande. Extraordinaire effort collectif de quatre industriels et de l’Etat pour tirer le bilan d’un échec commercial. Tout le monde avait été d’accord pour travailler sur ce bilan d’un échec, c’était pour une fois une rupture fondamentale avec les pratiques existantes. Hélas un incident anodin fit capoter la diffusion de cette étude de cas de plusieurs dizaines de transparents. Il faut remercier Henri Martre d’avoir pu nous permettre au moins d’entrer dans cette logique. Malheureusement, l’absence de trace écrite est très pénalisante.

Sortir la formation en IE de son isolement académique
Un autre problème se pose désormais de manière récurrente, celui de la formation. Nous savons pertinemment que le problème n’est pas résolu. Malgré les différentes lettres de mission de Premier ministres (Raffarin, Villepin, Fillion), la question de l’ancrage de l’intelligence économique n’est toujours pas résolue. Il existe des précédents sur la perte de savoir. L’école de la veille technologique née dans les années 1970/1980 a disparu, faute de successeurs aux pionniers universitaires comme Henri Dou et Humbert Lesca. D’autres écoles de pensée pourraient disparaitre de la même manière.
La question de la formation se pose à plusieurs niveaux :

  • Les classes préparatoires des lycées car c’est là que commence le processus de formation des élites. Le réseau Anteios a le mérite d’avoir publié des écrits sur la guerre économique pour sensibiliser les professeurs des classes préparatoires,
  • Les grandes écoles qui sont encore très peu impliquées dans une démarche volontariste de formation à l’intelligence économique.
  • L’université qui commence enfin à s’intéresser au sujet sans pour autant définir des cadres de recherche durables. La création d’un réseau d’enseignants chercheurs (idée portée par Nicolas Moinet, Professeur à l’IAE de Poitiers) et la reconnaissance de R2IE comme revue notée marqueraient une avancée significative.

Les entreprises ont aussi un rôle capital à jouer dans la consolidation du système de formation à l’intelligence économique. L’implication de cadres d’expérience dans la définition de programmes pédagogiques est requise pour donner du crédit aux enseignements à l’intelligence économique dont la très grande majorité reste encore beaucoup trop théorique et très faiblement productrice de connaissances.

Valoriser l’excellence française

Notre potentiel industriel est souvent méconnu par la population française. Nous sommes en avance sur les Etats-Unis dans certains domaines.

A New York, par exemple, les blocs électrogènes ont été utilisés pendant des mois pour alimenter des immeubles privés de courant après les incidents dus à la tempête de l’hiver dernier. EDF et ERDF sont mille fois plus efficaces pour réparer le réseau dans des conditions similaires. Qui sait que nous avons dans le domaine de l’économie de l’électricité dix à quinze ans d’avance sur une partie des technologies utilisées dans le monde occidental.
Quand allons-nous le dire ?
Quand allons-nous le démontrer ?
Quand allons-nous le faire savoir à nos jeunes générations ?
Quand allons-nous leur donner l’envie de se battre ?
Pour eux, pour ce pays, et pour éventuellement l’Europe si l’Europe arrive à exister.
Voilà pour l’instant la priorité essentielle. Mais ce ne sont pas des individus isolés qui arriveront à gagner cette bataille. Ce ne peut être que le fruit d’une démarche collective qui exclut tout sectarisme.

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