Fdesouche
Les codes d’éthique établis par les grandes banques américaines ne seraient-ils que de la poudre aux yeux ? Selon une enquête réalisée auprès de professionnels du secteur, une personne sur quatre serait prête à commettre un délit d’initié si elle était sûre de ne pas se faire prendre.

Éthique. Valeurs. Intégrité. Les patrons de Wall Street ont sans cesse ces mots à la bouche. Toutes les banques ont soigneusement élaboré un code de conduite. “Notre intégrité et notre réputation dépendent de notre capacité à faire ce qui est juste même quand ce n’est pas facile”, proclame le dirigeant de JPMorgan Chase. “Aucune incitation ou perspective financières – quel que soit le résultat financier – ne justifie que nous nous éloignions de nos valeurs”, déclare Goldman Sachs.

Mais un nouveau rapport laisse entendre que ces nobles propos ne sont que des paroles en l’air. Il vient d’être publié par le cabinet d’avocats Labaton Sucharow à la demande de Jordan A. Thomas, l’un de ses associés, qui a naguère été directeur assistant de la Securities and Exchange Commission [SEC, l’équivalent américain de l’Autorité des marchés financiers].

Sur les 250 personnes travaillant pour des sociétés financières qui ont répondu au questionnaire – courtiers, gestionnaires de portefeuille, banquiers, gestionnaires de fonds alternatifs, analystes financiers, conseillers en investissement, etc. –, 23 % déclarent avoir “observé ou avoir eu connaissance directement d’actes condamnables sur le lieu de travail”. Si cela ne suffit pas à attirer votre attention, en voilà encore : 24 % des personnes interrogées se disent prêtes à “commettre un délit d’initié pour gagner 10 millions de dollars si elles étaient sûres de ne pas se faire prendre”.

Des dirigeants peu regardants
A l’approche du 5e anniversaire du déclenchement de la crise financière – en septembre –, les enquêtés semblent avoir la mémoire plus courte que jamais. Si ce rapport dit vrai, la culture insidieuse de la cupidité est de retour, à moins qu’elle n’ait jamais disparu. Les résultats n’ont peut-être pas de valeur scientifique, mais ils sont frappants. Par exemple, 26 % des personnes ayant répondu pensent que “les systèmes de rémunération ou de prime existant dans leur société incitent les collaborateurs à compromettre les normes éthiques ou à violer la réglementation”.
Pour certains, les problèmes viennent du sommet même : 17 % de ces employés s’attendent à ce que “leurs dirigeants regardent ailleurs s’ils soupçonnent un de leurs meilleurs éléments de pratiquer un délit d’initié”. Plus troublant encore, “15 % doutent que leur hiérarchie, si elle apprenait que l’un de leurs meilleurs éléments avait commis un délit, le signalerait aux autorités”.
On dit souvent qu’il est injuste de mettre tout le monde dans le même panier et c’est vrai. Dans ce secteur, la grande majorité des employés sont des gens biens qui font du bon travail. Les chiffres présentés dans le rapport reflètent toutefois une réalité troublante: les brebis galeuses sont peut-être plus nombreuses qu’on ne le croit. On doit s’inquiéter quand “28 % des personnes pensent que le secteur des services financiers ne fait pas passer les intérêts de ses clients en premier”.
Gordon Gekko n’est pas mort
Chose curieuse, le problème est davantage prononcé chez les plus jeunes. Vous vous rappelez la question relative au délit d’initié ? Eh bien 38 % des employés ayant moins de dix ans d’expérience se disent prêts à en commettre un pour empocher 10 millions de dollars s’ils étaient sûrs de ne pas se faire prendre. Ce résultat me frappe particulièrement, parce que je me serais attendu à ce que la prochaine génération des dirigeants de Wall Street se soucie davantage de construire une culture anti-Gordon Gekko [le financier voyou incarné par Michael Douglas dans Wall Street, film d’Oliver Stone sorti en 1987].
Tous les meilleurs cursus de MBA (Master of business administration, maîtrise en administration des affaires) du pays ou presque proposent des cours d’éthique qui sont souvent obligatoires. En 2008, une coalition d’étudiants a lancé le “MBA Oath” [le serment du MBA] par lequel ils s’engagent à “créer de la valeur de façon responsable et éthique”. Plus de 6 000 étudiants y ont adhéré.
Le problème est aggravé par un trait commun à tous les êtres humains, quel que soit leur secteur d’activité. “Les gens prévoient qu’ils se comporteront de façon plus éthique qu’ils ne le font en réalité”, selon une étude dirigée en 2007 par Ann Tenbrunsel, professeure à l’université Notre-Dame. “Ensuite, ils pensent qu’ils se sont comportés de façon éthique alors que ce n’était pas le cas. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des individus croient à tort avoir une conduite plus éthique que la majorité de leurs pairs.
Lanceurs d’alerte
Ceci explique peut-être pourquoi 89 % des personnes ayant répondu au questionnaire de Labaton Sucharow “se disent prêtes à signaler toute action répréhensible” mais que si peu le font. Dans le cadre de la loi Dodd-Frank, qui réforme le marché financier, la SEC a créé un système permettant de reverser 10 à 30 % des amendes collectées à tout lanceur d’alerte à l’origine des poursuites. Le fonds, doté de 500 millions de dollars au démarrage, dispose encore de 450 millions.
Toutefois Stephen Cohen, directeur de la division chargée de l’application de la loi à la SEC, a annoncé que d’importants versements seraient bientôt réalisés. Jordan A. Thomas, du cabinet d’avocats Labaton Sucharow, a participé à la mise au point de ce programme quand il était à la SEC et il représente aujourd’hui des lanceurs d’alerte. “On est dans une culture du silence, explique-t-il. Personne n’est prêt à parler.
Apparemment, selon beaucoup trop de gens, la cupidité, c’est toujours bien. [Référence à une phrase célèbre de Gordon Gekko, “Greed is good”, “La cupidité, c’est bien”.] Courrier International

Fdesouche sur les réseaux sociaux