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Accordée de village - Greuze
Jean-Baptiste Greuze, l’Accordée de village, 1761.

Autrefois étape majeure de la vie et socle de la société, le mariage est une institution qui a fortement évolué au cours des siècles, tant au niveau de sa signification que de la forme. Avant la Révolution, la distinction entre mariage civil et religieux n’existait pas puisque le mariage civil fut une invention républicaine. L’amour n’avait pas encore de place centrale dans le choix du conjoint au profit de motifs plus « matériels », les pères de famille ayant leur mot à dire sur cette question importante. Quelle place était laissée à l’amour ? Quel était le cheminement qui menait de la rencontre de jeunes gens au mariage ? Quelle conception du mariage avait nos ancêtres ?
● Mariages d’amour et de raison
On ne prenait pas son conjoint au hasard : le jeune homme ou la jeune fille choisissait rarement son conjoint du fait du poids du père et des contraintes sociales. L’Eglise interdisait les unions jusqu’au 4e degré, mais des dispenses pouvaient être accordées pour les 3e et 4e degrés, ce qui limitait le nombre de conjoints possibles dans le village ou ses alentours.
Dans les milieux aristocratiques et de la haute et moyenne bourgeoisie, le chef de famille choisissait souvent ses belles filles et beaux fils, et ne prenait rarement en compte les sentiments de ses enfants. Il n’était chez eux pas question d’amour, on cherchait une situation. Au XVIIIe siècle, Mme de La Fayette rapporte que le fils du président du Parlement de Dijon demande à son père : « Est-il vrai, mon père, que vous me voulez marier à Mlle une telle ? – Mon fils, mêlez-vous de vos affaires. » !
L’homme devait avoir le consentement de ses parents jusqu’à 30 ans et la femme jusqu’à 25 ans, mais même passé cet âge, la famille pouvait toujours s’opposer à l’union conjugale. Par contre, la liberté de choix était plus grande et l’amour davantage présent dans les masses paysannes et la plèbe urbaine que dans la moyenne et haute bourgeoisie ou dans les milieux aristocratiques. Quand le patrimoine familial ne se résumait à pas grand chose, il y avait évidemment moins de raisons d’élaborer des stratégies matrimoniales.
● Rituels de l’amour
Il y avait de nombreux lieux où rencontrer son conjoint : à la messe, à la foire, lors d’une veillée, d’une fête villageoise ou de travaux des champs …
A l’époque il existait de multiples gestes ou rituels amoureux, différents selon les régions destinant à faire savoir à la fille qu’on voulait commencer une relation amoureuse. Rétif de la Bretonne, au XVIIIe, rapporte pour son village de Bourgogne : « Dans le pays, l’usage, qui subsiste encore, est de piller les filles qui plaisent. Les garçons leur enlèvent tout ce qu’ils peuvent : leurs bouquets, leurs anneaux, leurs étuis, etc. » (La Vie de mon père, 1779). Dans le Béarn, le jeune homme jetait des petites pierres à la fille pour exprimer son désir ; dans les Landes, les jeunes gens déclaraient leur désir en se serrant la main durant une danse et confirmaient en se frappant l’un l’autre ; dans le Gers, l’homme pouvait pincer le bras de la jeune fille, et la fille donnait son accord en s’asseyant sur les genoux du jeune homme.
Parfois, on exprimait son désir à l’aide de formules stéréotypées comme dans le marais de Monts en Vendée. Les filles prononçaient cette formule : « Mé ton pé contre mon pé, mé dans ta main dans ma main et bisons-nous » et les garçons cette formule : « Mé ta langue dans ma goule, et dis-mé que tu m’aimes ». Mais dans tous les cas, pour aller plus loin, il fallait le consentement des parents.
● Des accordailles au mariage
Le garçon ou un intermédiaire demandait alors au père de la fille l’autorisation de l’épouser. Si le père acceptait, le jeune homme pouvait fréquenter la maison de la fille convoitée. Ensuite venaient les accordailles : le futur époux remettait un gage à la fille, souvent une bague. Le contrat de mariage suivait, fixant entre autres la dot de la jeune fille et le douaire, c’est-à-dire les biens revenant à la fille si jamais le mari venait à décéder avant elle. Les fiançailles pouvaient être alors célébrées.
Le mariage des filles constituait une charge financière importante puisqu’il fallait que le père dote sa fille en fonction de son niveau social. Ancien proverbe français : « La fille n’est là que pour enrichir les maisons étrangères ; qui a des filles à marier, lui faut de l’argent à planté ». Un proverbe du Sud-Ouest de la France dit « une fille, bonne fille ; deux filles, assez de filles ; trois filles, trop de filles », un proverbe savoyard explique que moins une paroisse a de filles, plus elle est riche, car l’argent y rentre et ne sort pas.
Ce problème de la dot pouvait faire reculer l’âge du mariage des filles dans certaines familles. Le père pouvait s’arranger pour marier d’abord le garçon le plus âgé puis récupérer la dot amenée par la fille pour lui-même doter une ou plusieurs de ses filles. C’est le mariage de l’aîné qui rapportait la plus grande dot puisque c’est lui qui récupérait généralement l’exploitation ou l’entreprise familiale à la mort des parents.
Une fois le contrat de mariage passé et les fiançailles célébrées pouvait venir le mariage.
● Le mariage
Depuis 1215 et le IVe concile du Latran, le mariage est un sacrement. Il est indissoluble, le couple reste lié qu’à la mort. Il se fait donc à l’église en présence d’un prêtre depuis 1215 alors qu’avant le XIIIe siècle on se mariait à domicile, dans les foyers ! On publiait les bans plusieurs semaines à l’avance, trois bans sur trois semaines depuis le XVIe. Le mariage était un acte public, tout le monde savait que X allait épouser Y, et l’on peut s’y opposer. Les portes de l’église restaient ouvertes pendant la cérémonie, sous peine de nullité.
Dans certaines régions, un certain nombre de coutumes étaient respectées : en Bretagne, le futur marié simulait le rapt de la fiancée, la belle famille lui courant après. Dans l’actuelle l’Ille-et-Vilaine, la mariée, juste après la cérémonie, simulait une résistance à son époux, en se sauvant ou en pleurant. Le mari lui courait après et la forçait à entrer dans la maison conjugale après une lutte durant laquelle les habits pouvaient être déchirés.
Un certain nombre de superstitions venaient se greffer à la cérémonie. Jean-Baptiste Thiers, curé du diocèse de Chartres au XVIIe, auteur d’un Traité des superstitions, rapporte qu’il était courant avant le mariage, afin de se protéger de divers maléfices, que le futur marié urine trois fois dans l’anneau destiné à la mariée.
Et surtout, pendant la cérémonie, tout le monde surveillait tout le monde, pour ne prendre garde à ce qu’un jaloux ne noue l’aiguillette (ne fasse un noeud à un bout de ficelle), ce qui causerait l’impuissance du mari (superstition assez répandue dans toute la France).
La coutume de la robe blanche, symbole de l’innocence, n’apparut qu’à la fin du XVIIIe siècle et ne se répandit vraiment qu’à partir du milieu du XIXe siècle : on se mariait auparavant en costume local, avec des vêtements parfois colorés, parfois sombres. Par contre, la coutume de l’anneau est beaucoup plus ancienne, remontant à l’Antiquité.
On se mariait généralement à un âge avancé contrairement à ce que l’on pense souvent à cause des mariages précoces des rois de France et hauts nobles (14 ans pour Louis XIII, 21 ans pour Louis XIV, 15 ans pour Louis XV, 14 ans pour Louis XVI). La moyenne de l’âge au mariage pour les Français était de 25-26 ans pour les femmes et 27-28 ans pour les hommes.
Même si les relations sexuelles hors mariage étaient théoriquement prohibées, il n’était pas rare que la (future) mariée soit déjà enceinte, parfois depuis de nombreux mois, au moment du mariage. Le tout était que l’enfant naisse lorsque les époux étaient mariés. Au niveau national, les différents sondages tant au XVIIe qu’au XVIIIe donnent un peu plus de 10 % de femmes enceintes au moment du mariage, plus de 30 % dans certaines paroisses.
Ce qui comptait surtout était la promesse de mariage échangée entre les deux futurs époux, qui avait une valeur juridique avant la Révolution. On voit ainsi se faire de nombreux procès pour promesse de mariage non tenue : c’est la fille mise enceinte qui portait plainte auprès des autorités, l’homme était généralement condamné au choix soit à épouser la femme mise enceinte, soit à payer une amende et subvenir aux besoins de l’enfant. C’étaient les procès pour « gravidation ». Un exemple dans les registres de la paroisse St-Etienne de Toulouse au XVIIIe : « L’an mil sept cens quarante et quatre, et le vingt et sixième jour du mois de mars, arrest rendu au Parlement de Toulouse par lequel le sieur Guillaume-Henry Cyrol, de la paroisse de Baumon Lesloumagne [au] diocèse de Montauban fut condamné envers la demoiselle Claire Daubian du même diocèse à présent notre paroissienne à l’épouser ou à lui payer six mille livres, et le sieur Cyrol voulant obéir audit arrest et épouser lad[ite] demoiselle Daubian, nous vicaire soussigné leur avons départi dans la chapelle de l’Assomption de notre église la bénédiction nuptiale après avoir reçu leur mutuel consentement » etc.
La législation révolutionnaire, en ne reconnaissant plus les promesses de mariage, a fortement fragilisé la position de la femme et contribué à multiplier les naissances illégitimes et les abandons d’enfant. Le libéralisme bourgeois de la toute fin du XVIIIe et du XIXe a joué pour les hommes contre les femmes.
● Les mariages scandaleux, le charivari
Les mariages qui faisaient particulièrement scandales étaient ceux contractés entre deux personnes d’un âge très inégal. Un proverbe du pays d’Armagnac dit : « Mariage de deux jeunes, mariage du Bon Dieu ; mariage de jeune et de vieux, mariage du Diable ; mariage de deux vieux, mariage de merde. ». Le mariage entre une fille du village et un étranger était également mal vu ainsi que le mariage entre deux personnes de situations sociales très inégales.
Les jeunes du village se vengeaient contre les nouveaux époux en organisant un charivari. Le charivari est défini dans le Dictionnaire universel de Furetière, paru en 1690, comme un « bruit confus que font des gens du peuple avec des poëles, des bassins et des chaudrons pour faire injure à quelqu’un. On fait des charivaris en dérision des gens d’un âge fort inégal qui se marient. »
La coutume consistait à faire un grand bruit lorsque qu’un mariage paraissait anormal. Elle pouvait réunir 3, 4, 10 personnes ou plus, ces bandes de jeunes qui étaient alors appelées « royaumes de jeunesse ». On soufflait dans des cors, jouait du fifre, tapait sur des caisses, poussait des cris sous les fenêtres des mariés. Les jeunes leur extorquait parfois de l’argent, manière pour les époux de se racheter. Les autorités civiles et l’Église répétèrent leurs condamnations à l’égard du charivari, considéré comme une atteinte à la sainteté du mariage. Cette pratique populaire, malgré la réitération des interdictions, perdura néanmoins jusqu’à la fin du XIXe siècle.

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