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Par Agnès Rousseaux

Le groupe pharmaceutique Novartis va adresser 5.000 kits pédagogiques à des écoles élémentaires. De quoi sensibiliser 150.000 enfants à l’importance de prendre soin de leur animal domestique préféré, chiens ou chats, pour éviter la transmission de maladies grâce… à des produits en partie commercialisés par Novartis.

Une trentaine d’enfants sont sagement assis dans les fauteuils de l’auditorium du Muséum national d’Histoire naturelle. Ils regardent un dessin animé sur les risques de transmission de maladie par les animaux de compagnie. Un dessin animé réalisé par l’entreprise pharmaceutique Novartis. Le message: bien se laver les mains après avoir caressé son animal. Et surtout penser à procéder à une vermifugation régulière de son chien ou chat (par administration d’un médicament), pour tuer les vers, vecteurs de maladies.

Sylvie Thevenon, conceptrice du programme chez Novartis, anime cette séance « pédagogique » de « sensibilisation pour changer les comportements ». S’agit-il de « séances pédagogiques » désintéressées, ou de réaliser une vaste opération marketing, avec l’aval de l’Éducation nationale ?

Cette classe de CE2 de Neuilly-sur-Seine n’est pas la seule cobaye. 2 000 kits pédagogiques ont été envoyés dans des écoles, 3.000 autres vont suivre en juin. 150 000 enfants de « Cycle 3 » (8-10 ans) pourront donc apprendre à s’occuper de leur animal de compagnie grâce aux bons conseils de Novartis, et de sa filiale Novartis santé animale ! Le ministère de l’Éducation nationale a donné son accord pour cette activité « éducative ». Et évidemment totalement désintéressée…

Car qui fabrique et vend des vermifuges en France ? Novartis, leader mondial pour les antiparasitaires [1].

Des experts pas si indépendants

« En France, les chats et chiens sont vermifugés en moyenne 2,8 et 2 fois par an. D’après une étude d’experts européens indépendants, il faudrait les fermifuger 4 fois par an, pour réduire la transmission de maladies comme les zoonoses parasitaires », explique les responsables de ce programme éducatif. Il s’agit de « lutter contre un vrai problème de santé publique ».

Sur celui-ci, on n’en saura pas plus. Combien d’enfants sont touchés par ces maladies en France ? Pédiatre, vétérinaire et chef de produit, réunis pour la conférence de presse de Novartis, ne s’étaleront pas sur ces chiffres [2]. « A cause de ces vers, parfois un enfant se réveille un matin et hop, il ne voit plus d’un œil. Et ça peut être définitif ». Hop, juste de quoi faire stresser parents et enseignants. « Ça ne serait pas plus simple de vermifuger directement les enfants ? », demande Elizabeth Tchoungui, présentatrice de France Ô, réquisitionnée comme animatrice pour l’occasion.

Qui sont les experts indépendants qui recommandent de prendre en charge ce risque majeur pour la santé publique ? Et de passer à la vitesse supérieure sur la vermifugation des chiens et chats ? L’ESCCAP (European Scientific Counsel Companion Animal Parasites), spécialiste des parasites d’animaux domestiques. Qui est soutenu par de généreuses entreprises.

Parmi elles, Novartis. ESCCAP « bénéficie du soutien de sponsors (de grandes sociétés pharmaceutiques principalement) sans qui un tel travail ne serait pas possible. Merci à eux », décrit le site français. Les recommandations de ces « experts européens » sont bien entendu totalement « indépendantes »…

« Rallier le plus grand nombre à »… Novartis ?

Forte de cette expertise scientifique, Novartis lance donc une campagne de sensibilisation dans les écoles françaises pour « rallier le plus grand nombre à sa mission de santé publique ». En se basant sur le rapport de l’enfant à l’animal, pour mieux faire passer le message. « L’animal est un immense médiateur. Il offre une situation de triangulation qui détourne les messages moralisateurs en projections affectives », explique Sylvie Thevenon.

« Les animaux sont des vecteurs d’émotion pour les enfants ». Un vecteur publicitaire idéal surtout. « Médiateur d’exception », « largement supérieurs au statut des peluches », ose même Novartis dans son dossier de presse. « C’est l’animal qui va relier l’homme à l’homme », complète le docteur Dominique Brunet, pédiatre. Ou l’enfant à l’entreprise pharmaceutique, ça dépend du point de vue.

En avril, 17 000 établissements scolaires ont reçu un mail leur proposant de commander gratuitement le kit pédagogique de Novartis. Comment l’Éducation nationale peut-elle donner son accord pour que des entreprises fassent du marketing sur le temps scolaire ?

La pratique semble pourtant assez courante. Kat-Cent-Coups, « agence conseil en communication pédagogique », qui diffuse le kit de Norvartis, propose aussi un CD-Rom estampillé Veolia Transport pour aborder avec les élèves la thématiques des déplacements durables.

Ou les supports pédagogiques la « Semaine du jardinage à l’école », conçus par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), lobby des semenciers.

Le GNIS, par ailleurs co-éditeur du site Ogm.org pour « comprendre les OGM et préparer notre avenir ». Le président de ce groupement professionnel, Daniel Segonds, a longtemps été dirigeant du semencier RAGT, en pointe sur la recherche OGM au sein du groupement Biogemma, et a travaillé pour Dekalb, filiale de Monsanto.

Du vermifuge aux fruits sous plastique

Kat-Cent-Coups propose aussi un kit pédagogique sur « la biomasse agricole » : comment parler agrocarburants et chimie du végétal à des collégiens et lycéens. Ce kit est édité par Passions céréales, association des céréaliers, évidemment très objective quand elle affirme que la biomasse « est aujourd’hui, dans certains cas, la seule alternative renouvelable disponible » au déclin des énergies fossiles.

Dans un autre registre, Avenance Enseignement, leader français de la restauration scolaire, filiale d’Elior, a proposé en 2008 aux enfants, de la petite section maternelle au CM2, de goûter des sachets de pommes en quartiers à la cantine [3]. Une démarche qui vise à « faire découvrir aux enfants une nouvelle manière de consommer des fruits ». Ou d’habituer les enfants à manger des fruits prédécoupés sous plastique…

Les outils pédagogiques conçus par les entreprises seraient-ils plus efficaces que ceux concoctés par les professionnels de l’éducation ? « Les campagnes de dentifrice ont sauvé plus de caries que les cours obligatoires d’hygiène. Elles devraient être remboursées par la Sécurité sociale », écrivait le publicitaire Jacques Séguéla en 1993 [4]

Les consultants de multinationales seront-ils bientôt payés pour venir assurer des séances pédagogiques dans les écoles ? Novartis, nouvelle entreprise philanthropique, « prend très à cœur son rôle civique », précise le dossier de presse de l’opération. Peut-être veut-elle aussi se refaire une image et oublier que les États-Unis viennent de lancer des poursuites contre elle pour corruption de médecins [5] ?

La séance à l’auditorium se termine sur un dernier échange entre les représentants de l’entreprise et les enfants.

Sylvie Thevenon (Novartis) : « Qu’est-ce que vous allez expliquer à vos parents tout à l’heure ? »
Les enfants : « Qu’il faut nettoyer son animal et aller chez le vétérinaire ».
Sylvie Thevenon : « Vous vous souvenez de ce qu’il donne le vétérinaire ? »
Les enfants, en cœur : « Du vermifuge ! »

Les enfants vont pouvoir profiter du goûter – bonbons et glaces à volonté – offert par Novartis. La leçon semble assimilée. En cas d’oubli, pas de panique. Le kit pédagogique contient des cartes de jeux avec des questions-réponses, à distribuer aux élèves. « Pour vérifier les connaissances et ramener le débat et les messages jusque dans les familles ».

Notes

[1« Novartis Santé Animale dispose d’un portefeuille de produits fortement orienté sur les antiparasitaires pour animaux de compagnie et les insecticides ». Source : Novartis.

[2Une des plus novices zoonoses (maladies transmises par l’animal à l’homme), la toxocarose – ou « maladie des bacs à sable » – a une prévalence de 5% en milieu urbain et de 37% en milieu rural et « peut avoir de graves conséquences chez l’enfant », note le dossier de presse de Novartis.

[3« Dans un premier temps, les enfants seront invités à déguster des pommes entières, puis des sachets de pommes à croquer quelques jours plus tard. Les deux dégustations de fruits seront intégrées au sein d’un menu identique, afin de pouvoir effectuer une comparaison optimale et objective. Lors des phases de tests, nous avons pu constater chez les enfants une consommation de fruits 3 à 4 fois supérieure lorsque ceux ci sont proposés en quartiers, et présentés de manière pratique et ludique (sachets de 60g, adaptés à leurs besoins nutritionnels, fruits déjà lavés, sans pépins et sans trognons) », indique le site d’Elior.

[4Jacques Séguéla, L’argent n’a pas d’idées, seules les idées font de l’argent, 1993. Cité par Paul Ariès qui avait lancé en 2003 un appel pour « une rentrée sans marques ».

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