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Extraits d’un article de Xavier Landes, chercheur en philosophie politique et économique au Centre de recherche sur l’égalité et le multiculturalisme de l’Université de Copenhague (Danemark).

[extraits] Le multiculturalisme du Canada, conçu avant tout comme une entreprise de construction nationale, constitue un exemple à méditer pour l’Union européenne.

L’Europe est dans la tourmente. La croissance stagne, le chômage bat des records et l’État-providence recule. Mais c’est aussi une crise de l’identité européenne et de l’institution qui l’incarne, l’Union européenne.

Dans ce climat de doute identitaire, certains dirigeants politiques, journalistes et intellectuels ont claqué la porte du multiculturalisme au titre que celui-ci aurait failli. Cette condamnation traduit une mécompréhension profonde de ce qu’est le multiculturalisme.

Il n’y a, tout d’abord, pas un seul, mais plusieurs multiculturalismes.

Si l’on veut absolument constater l’échec du multiculturalisme, il faut prouver l’échec de toutes ses variantes.

Parmi ces expériences, le Canada occupe une place à part pour deux raisons.

1. Il est le premier pays à avoir fait du multiculturalisme sa politique officielle en 1971 et un des rares pays à lui octroyer une valeur constitutionnelle. Le multiculturalisme est l’idéologie du Canada.

2. Le Canada est le pays qui a vu naître le multiculturalisme contemporain en théorie politique au début des années 1990.

Au Canada, le multiculturalisme institutionnel (celui qui est supposé avoir échoué) n’a jamais constitué une politique guidée par le seul respect des différences. Le multiculturalisme a été conçu en premier lieu comme une entreprise de construction nationale initiée en 1971 pour lutter contre le nationalisme québécois.

L’idée était de noyer le souverainisme québécois dans le bain de la reconnaissance d’une diversité plus large qui inclurait l’ensemble des groupes issus de l’immigration.

Dès l’origine, le multiculturalisme canadien a donc été conçu pour servir de socle au développement d’un ersatz d’identité nationale, une identité nationale allégée si l’on veut. C’était la réponse du gouvernement Trudeau aux fortes tensions politiques des années 1960.

Alors qu’en Europe, on perçoit le multiculturalisme comme un exercice de reconnaissance des différences, il s’agit en fait d’une authentique démarche pour donner à la nation canadienne une identité qui lui soit propre.

Le multiculturalisme ne vise alors pas tant à diviser une communauté nationale qu’à en créer une sur la base de la reconnaissance de sa diversité.

Loin d’avoir failli, le multiculturalisme canadien est une entreprise de construction nationale atypique qui peut se prévaloir d’un certain succès. En effet, le soutien à l’autonomie politique du Québec stagne, voire s’affaiblit, la confiance est parmi les plus hautes au monde, de même que d’autres indicateurs sociaux comme le bonheur et le bien-être subjectif.

Quelle implication pour l’Europe? L’Union Européeene partage deux caractéristiques avec le Canada : une population fragmentée en différents groupes ethnoculturels ainsi qu’une faible conscience nationale/communautaire.

Ainsi, en partant du principe que l’on est attaché au projet européen et que l’on considère que celui-ci doit prendre la direction d’une plus grande intégration politique, il est difficile de snober le multiculturalisme canadien.

L’expérience canadienne constitue un exemple à méditer quant à la manière de forger une identité nationale dans une situation de division culturelle et linguistique et avec un fonds préexistant mince.

Dans le contexte européen, le discours de la fin du multiculturalisme obscurcit ce que peut être le multiculturalisme et ce à quoi il peut être utile.

Si une identité doit être créée, la stratégie suivie par la plupart des pays européens au début de leur processus de construction nationale n’est ni acceptable ni possible. Le temps est donc peut-être venu de considérer une autre voie.

Slate.fr

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Complément : le point de vue radicalement opposé d’un autre chercheur québecois, Matthieu Bock-Coté.

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