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Le personnage du « beauf » est apparu sous la plume du dessinateur Cabu au tournant des années 1970. Individu gras et moustachu, beuglard, volontiers alcoolique et toujours répugnant, le beauf incarne à ses débuts le pilier de bistrot aux idées arrêtées et à l’haleine douteuse qui abreuve son auditoire, dès qu’il en a un, d’opinions imbéciles et rétrogrades et de maximes idiotes. Ce beauf-là est le plus fervent pratiquant de la philosophie de comptoir et du « tous pourris ». Rapidement, le beauf sort du bistro et devient la figure emblématique d’une catégorie sociale et culturelle dont Cabu caricature les traits dans Charlie-Hebdo, inspiré par les imitations de François Cavanna :

(…) Le beauf de Cabu, qui a connu une longue carrière de 1975 à nos jours, a joué un rôle cathartique pour ces intellectuels qui ont cherché à se débarrasser d’un peuple devenu encombrant, résolument borné, embarrassant dans ses élans et inquiétant dans ses silences. Le beauf aujourd’hui vote à droite, plus volontiers FN, mais il a pu également s’aventurer chez Laguiller ou au PC. Au fil des ans, il est devenu sous la plume de Cabu un arriviste méprisable qui a sûrement voté pour Nicolas Sarkozy en 2007, mais il incarne toujours, selon les dires du dessinateur, un pauvre type qui, sans idées, se contente de répéter bruyamment celles des autres.

L’important est que ce beauf ait pu concentrer sur sa détestable personne le ressentiment développé par des intellectuels que leur déroute idéologique a orientés vers des thématiques sociétales plutôt que sociales. Les intellectuels ont recréé en quelque sorte un peuple à l’image de leurs aspirations et de leurs détestations. Que ce peuple puisse les décevoir en faisant du Front National le troisième parti de France ou en rejetant le traité constitutionnel européen ne peut pas surprendre. Le beauf est là pour montrer à quel point le peuple est ennemi de lui-même. Les intellectuels et les politiques ont aujourd’hui pour tâche d’empêcher ce peuple potentiellement raciste, la plupart du temps stupide et certainement constamment anti-progressiste de se laisser entraîner par ses plus mauvais penchants et le personnage de Cabu symbolise cette relation de méfiance qui s’est installée entre les élites et la population. A-t-elle jamais disparu ? Dans le Danton d’Andrej Wajda, Robespierre dans un souffle, constatait avec amertume : « Faut-il faire le bonheur du peuple contre son gré ? » Sans que Cabu y ait peut-être vraiment songé, la conception des rapports entre le peuple et ses représentants que son beauf véhicule emprunte autant à Lénine qu’à Siéyès. Elle illustre même à merveille la défiance et la crainte qu’un bourgeois du Second Empire éprouvait à l’encontre de la populace sale, braillarde et imprévisible. Mais Cabu, en dépit de Charlie-Hebdo, reste après tout un petit bourgeois de Châlon, un peu effrayé par le populo. On ne renie jamais complètement ses origines…

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