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En dépit d’une très lucrative hausse des cours, la profession a touché 15 milliards d’euros d’aides de la Politique agricole commune, qui sera au menu du sommet sur le budget européen aujourd’hui (NB : le 6 février dernier).

On se croirait dans un vieux sketch de Fernand Raynaud. Un «pauvre paysan» se plaint : «J’ai dans les 110-115 hectares de blé, mais ça paye pas. Ça eut payé, mais ça paye plus.» A la fin de sa complainte, on découvre qu’il est en train d’offrir un diamant de chez Cartier à sa femme…

La caricature n’en est plus vraiment une pour les céréaliers et autres producteurs d’oléoprotéagineux européens (tournesol, colza, soja, pois, féverole, lupin, etc.) qui ont touché le jackpot en décembre grâce à la Politique agricole commune (PAC) : ils se sont partagé une manne d’environ 15 milliards d’euros «d’aides au revenu», alors qu’ils n’ont jamais gagné autant d’argent sur les marchés grâce à l’explosion des prix depuis 2007 (avec un creux en 2009). Soit des chèques pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros.

«Scandale».

En France, environ 10 000 agriculteurs se sont partagé près de 6 milliards d’euros, soit en moyenne 600 000 euros par exploitation.

En réalité, l’aide européenne étant calculée en fonction de la taille de la ferme et des rendements «historiques» (soit la période 2000-2003), leur montant est variable. La Commission européenne (lire aussi pages 30-31), pour le moins gênée par les questions de Libération, a refusé de fournir des chiffres précis.

Mais en sachant que le montant moyen pour les grandes cultures est de 330 euros à l’hectare, on peut rapidement calculer qu’Albert de Monaco, au hasard, qui possède 773 hectares en France, a reçu un bonus tournant autour de 250 000 euros financés par le contribuable européen…

José Bové, vice-président de la commission agriculture du Parlement européen, s’est livré à un petit calcul : «Prenons une ferme de 300 hectares de blé qui affiche des rendements de 7 tonnes à l’hectare. Sachant que la tonne de blé se vend entre 250 et 280 euros, cela rapporte donc entre 525 000 et 590 000 euros par an. Moins les coûts d’exploitation que l’on peut chiffrer entre 130 et 150 euros la tonne. Ce qui donne un bénéfice net compris entre 210 000 et 317 000 euros. L’aide européenne se montera, elle, entre 99 000 et 120 000 euros. Au final, pour 300 hectares, on gagne entre 309 000 et 437 000 euros.»

Alors que les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union vont s’étriper, ce soir et demain (NB : 6 et 7 février dernier), sur le «cadre financier» 2014-2020, voilà une belle source d’économie possible. Si on multiplie ces 15 milliards par les sept ans de cette loi de programmation budgétaire, on arrive à 105 milliards d’euros, exactement la somme que certains Etats veulent couper…

«Ces aides distribuées à des gens qui n’en ont pas besoin et qui avouent eux-mêmes qu’ils s’en servent pour acheter un appartement sont un vrai scandale», dénonce Michel Jacquot, directeur du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (organisme de la Commission gérant la PAC) entre 1987 et 1997.

Ce système d’aide au revenu a été mis en place entre 1992 et 2003 afin de sortir du soutien aux prix agricoles qui poussait les paysans à produire n’importe quoi en quantité. Mais il a abouti à créer une vraie rente de situation lorsque les cours permettent aux paysans de vivre de leur production.

Evidemment, tous les paysans ne touchent pas le jackpot, loin de là : les éleveurs (viande, lait) n’obtiennent quasiment rien, alors que les cours s’effondrent et que les prix des céréales nécessaires pour nourrir le bétail s’envolent. Même chose pour les producteurs de fruits et légumes.

Le pire est que les aides ne sont pas plafonnées, si bien que des exploitations reçoivent plusieurs millions par an (c’est le cas de toutes les grandes sociétés agroalimentaires françaises ou de la reine d’Angleterre…). Ce n’est pas pour rien qu’en dépit des multiples réformes censées rendre la PAC plus juste, 80% des aides vont toujours à 20% des producteurs…

Surprime.

La Cour des comptes européenne, qui a examiné à la loupe ce système, a également mis au jour une série de fraudes. Les agriculteurs ont ainsi déclaré des terres qui n’ont jamais été cultivées (150 000 hectares, dont une réserve naturelle en Ecosse, par exemple). D’autres ont cédé leurs droits à des investisseurs qui se contentent de toucher les chèques européens. Comme le souligne Michel Jacquot, les Etats-Unis ont réglé le problème en faisant dépendre le versement des aides du niveau des prix mondiaux.

Les Etats européens, eux, ne veulent rien changer : une majorité (dont la Grande-Bretagne) refuse même de plafonner le montant des aides à 300 000 euros par exploitation (soit 3 900 exploitations touchées), comme l’a proposé la Commission, ce qui permettrait de limiter les dégâts.

La France, elle, souhaite redistribuer ce budget plus équitablement, par exemple en accordant une surprime aux 50 premiers hectares, ce qui bénéficierait aux petits paysans. Une position très minoritaire pour l’instant : pas question de toucher au blé des riches paysans.

Libération

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