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La justice australienne a condamné l’agence américaine à indemniser des collectivités locales qui ont acheté dans des produits toxiques très bien notés. Une première et un jugement qui pourraient faire tache d’huile.

Serait-ce la fin de l’immunité des agences de notation ? Pour la première fois, l’une d’elles vient de voir sa responsabilité reconnue pour ne pas avoir bien estimé le niveau de risque attaché à un produit financier.

La justice australienne a condamné hier Standard & Poor’s à indemniser 13 collectivités locales qui ont perdu des millions de dollars australiens dans des produits toxiques qu’elle avait très bien notés, en leur attribuant un AAA. La Cour fédérale d’Australie a retenu plusieurs charges contre l’agence américaine : une notation « trompeuse », avec des « assertions inexactes et négligentes » et la publication d’ « informations fausses ». Pour le tribunal, ces municipalités ont cru que les évaluations de S&P sur deux produits reposaient sur des bases prudentes et solides, alors que « S&P savait que ce n’était pas vrai ».

Les faits reprochés datent de 2006. L’agence avait été choisie par ABN AMRO pour noter la solidité de produits que la banque néerlandaise venait de créer : des dérivés de crédit très complexes, des CPDO (« constant proportion debt obligation »). S&P leur avait décerné un AAA, soit la meilleure note. LGFS, un établissement financier australien, en avait acquis et revendu à des municipalités de Nouvelle-Galles du Sud, qui ont investi 16 millions de dollars australiens (13 millions d’euros). Mais, avec la crise financière, ces produits se sont révélés ruineux. Quand les municipalités ont revendu ces CPDO, elles n’ont récupéré que 7 % de leur mise, après que S&P a dégradé leur note de AAA à BBB+ (à 2 crans de la catégorie investissements spéculatifs). S&P, qui va faire appel de cette décision, s’est dit « déçu » par le jugement. « Nous réfutons toute allégation soutenant que nos avis étaient inappropriés », a déclaré un porte-parole de l’agence.

Règles « bienveillantes »

Pour l’agence, qui a dû défendre sa notation devant un tribunal, cette condamnation est une première.

Pour l’instant, les procès intentés n’ont pas abouti à des condamnations. Pour une raison simple : ils ont presque tous été engagés aux Etats-Unis, où les agences de notation bénéficient de règles « bienveillantes ». Comme elles délivrent de « simples opinions », elles s’abritent derrière le premier amendement de la Constitution américaine, garantie de la liberté d’expression.

Qui plus est, pour être reconnu responsable sous ce régime, le demandeur doit prouver que l’agence a l’intention manifeste de nuire ou qu’elle a agi en toute connaissance de cause et dans l’indifférence totale des conséquences de la diffusion de l’information. Ce qui est quasiment impossible.

Novatrice, cette décision pourrait faire tache d’huile dans les pays dont le système juridique se rattache par tradition au droit anglais (Royaume-Uni, Canada, Hong Kong, Singapour) et qui considèrent qu’une information peut être trompeuse sans l’avoir été de manière intentionnelle. Aux Etats-Unis, « cela risque d’être plus difficile, du fait d’un environnement réglementaire différent », note Hubert de Vauplane, associé au cabinet d’avocats Kramer Levin. En 2010, la loi Dodd-Frank a prévu que les agences de notation soient responsables dès lors que la note d’une émission obligataire figure dans le prospectus boursier. Or, pour éviter une hausse massive des contentieux, les agences n’ont pas souhaité que leurs notes soient publiées dans les prospectus. Les émetteurs ont averti des risques d’assèchement du marché. « Et la SEC, le régulateur américain, a décidé de suspendre l’application de cet article, pour une durée indéterminée le 24 janvier 2011 », précise Hubert de Vauplane.

En Europe continentale, il est peu probable que cette décision ait des répercussions : il faut que le plaignant prouve l’existence d’une faute, un préjudice et un lien de causalité. A moins que le Parlement européen, qui va engager de nouvelles discussions avec le Conseil demain, n‘impose ses vues. En effet, il demande une inversion de la charge de la preuve. En clair, que ce soit à l’agence de prouver qu’elle n’a pas commis de faute dans ses analyses et non au plaignant à démontrer une erreur manifeste.

Les Echos

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