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Ils sont une cinquantaine, adossés aux grilles d’une enseigne de bricolage discount. Maçons, peintres ou jeunes sans qualification qui bradent leurs bras pour quelques dizaines d’euros, ces ouvriers espèrent chaque matin une hypothétique embauche.
Sweat-shirt à capuche, casquette vissée sur la tête, un sac plastique à la main contenant ses “vêtements de travaux”, Mohamed, 31 ans, est arrivé parmi les premiers, vers 7 heures. “J’ai essayé l’intérim et Pôle emploi, mais je n’ai rien trouvé, alors je viens ici depuis des années”, raconte-t-il.

“Ces derniers temps, c’est plus dur. En une semaine, si on arrive à gratter une journée de boulot, c’est bien”, poursuit ce Tunisien qui survit avec femme et enfants grâce au RSA.
A Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), comme à Bobigny ou Villemomble (Seine-Saint-Denis), des centaines de ces journaliers des temps modernes, sans-papiers et jeunes pour la plupart, s’entassent quotidiennement devant les magasins de bricolage et matériaux.
A la clé: entre 50 et 80 euros, payés au noir, pour les rares qui seront cueillis par un chef d’entreprise ou des particuliers. Et une interpellation et 24 heures de garde à vue pour les plus malchanceux.
Avant de décrocher son titre de séjour, Mohamed s’est fait arrêter cinq fois.

“Les flics finissent toujours par te libérer. Ces derniers mois, ils se contentent de nous demander de bouger”,

affirme-t-il.
A côté de lui, Azouz, 45 ans, visage buriné, regard fixe sur ses mocassins usés, lâche d’une voix sourde: “On est des esclaves”.
Ce maçon arrivé de Tunisie en 1990 dit ne parvenir à trouver du travail que deux ou trois jours par mois. Le reste du temps, il patiente au bord de la nationale, dort dans la rue et mange grâce à l’aide d’associations.
“Ce sont souvent des particuliers qui nous emploient, pour environ 50 euros. Parfois, à la fin de la journée, ils ne t’en donnent que 20. Comme tu n’as pas le choix, tu acceptes”, renchérit un des ses compatriotes, Brahim, 32 ans.
“Police! Police!”
“Vous cherchez un ouvrier?” Un gaillard roux aux yeux clairs nous aborde comme il le fait avec chaque client potentiel du magasin. Agé de 44 ans, ce spécialiste roumain ès enduit et peinture a ses habitudes ici depuis… 2004.
Vêtu d’un survêtement noir impeccable et de baskets flambant neufs, il n’offre pas ses services pour moins de 80 euros la journée.
Dernièrement, un patron l’a choisi pour un chantier de 45 jours. Assez pour payer le loyer de son appartement et s’offrir des vacances au pays. “Mais cette année, il y a trop de gens qui cherchent du travail”, se plaint-il, interrompu par des cris qui s’élèvent au-dessus du brouhaha de la circulation.
“Police! Police!” Le groupe se disperse soudainement, alors qu’une voiture des forces de l’ordre se gare tranquillement sur le parking.
Georges, 22 ans, ne bouge pas d’un centimètre. “Tu cherches du taf, les flics t’arrêtent, tu vends de la drogue, ils ne font rien”, s’énerve le jeune Sierra-Léonais.
“On n’a rien mais on est prêt à tout donner. On dort dans la rue et, le matin, on se lève pour aller chercher du travail. On ne fait rien de mal”, éructe-t-il, écouteurs sur les épaules.
“Ne restez pas en groupe! Circulez!” Descendu de son véhicule, un gardien de la paix plutôt bienveillant entonne à l’attention des récalcitrants un refrain qu’il semble bien connaître.
Doumbia n’est plus là pour l’entendre. L’air perdu, il presse le pas pour s’éloigner, sans savoir où aller.
Débarqué de Côte d’Ivoire il y a à peine deux semaines, il dit avoir 16 ans mais on lui en donnerait à peine 14. “J’espérais que ce serait plus facile de trouver du travail”, soupire-t-il.

Paris Normandie

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